Lanceur d’alerte : le salarié n’est pas obligé de respecter la procédure d’alerte graduée
Le | Jurisprudence des salariés
Un salarié, souhaitant lancer une alerte, n’est pas tenu de respecter la procédure d’alerte graduée prévue par la loi n° 2016-1691, juge la Cour de cassation dans un arrêt du 15 février 2023.
Le contexte
Un salarié est embauché le 01er décembre 2010 en qualité de surveillant de nuit au sein d’une maison d’enfants à caractère social. Il effectue un signalement, avec un délégué syndical, à l’Inspection du Travail en juin 2018, énonçant des possibles agressions sexuelles commises sur certains enfants. Une enquête est ouverte pour agression sexuelle sur mineurs puis classée sans suite le 04 décembre 2018. Une autre enquête est ouverte à l’encontre du salarié et du délégué syndical pour dénonciation mensongère, elle aussi classée sans suite. Le salarié est licencié le 31 janvier 2019 et saisit le CPH afin d’invoquer la nullité de son licenciement et de demander sa réintégration.
La Cour d’appel fait droit à sa demande, constatant que la lettre de licenciement reproche au salarié d’avoir interpellé l’inspection du Travail. Le salarié a dénoncé des faits d’agression sexuelle sans les avoir constatés par lui-même et s’était appuyé sur des documents internes à l’entreprise. Il ne pouvait pas savoir si les faits qu’il redoutait étaient ou non avérés. L’enquête menée par la police, loin de porter atteinte à la réputation de l’établissement, constituait une mesure parfaitement proportionnée aux éléments dont avait eu connaissance le salarié.
La Cour juge qu’il n’est pas démontré que le salarié savait que les faits qu’il dénonçait étaient faux. Par conséquent, son licenciement est nul.
La Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel, rappelant que le salarié, qui relate ou témoigne de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions, n’est pas tenu de signaler l’alerte dans les conditions prévues par l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 09 décembre 2016 organisant une procédure d’alerte graduée. Un salarié ne peut pas être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi. La mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits dénoncés, et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
La Cour constate que le salarié a alerté l’inspection du Travail, ayant elle-même alerté le Procureur de la République, sur des éventuels faits d’agression sexuelle. Ces faits se sont avérés faux, à la suite d’une enquête approfondie de la police. Si le salarié n’a pas respecté la procédure d’alerte graduée, la Cour juge néanmoins que le salarié n’était pas tenu de la respecter. En effet, il ne connaissait pas non plus la fausseté des faits dénoncés. Son licenciement constitue donc un trouble manifestement illicite.
La protection des lanceurs d’alerte
La protection des lanceurs d’alerte est notamment définie dans l’article L.1132-3-3 nouveau du Code du Travail. Ainsi, aucune personne ayant témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elle a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou ayant relaté de tels faits ne peut faire l’objet des mesures suivantes :
- Etre écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise ;
- Etre sanctionné ;
- Etre licencié ;
- Faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat.
L’alerte du CSE
En cas de situation dangereuse pour les salariés ou pour la santé publique et l’environnement, le CSE en informe l’employeur. Après cette étape informative par écrit dans le registre spécial du DGI (Dangers graves et imminents) (articles L2312-60 et L4231-1 du Code du Travail), une enquête est menée dans l’entreprise.
Les membres du CSE peuvent alors se déplacer et mener des entretiens avec les salariés. Pour exercer leur mission, les membres du CSE doivent utiliser leurs heures de délégation.
Une fois que le danger est identifié, l’employeur prend les mesures et donne les instructions nécessaires pour permettre aux travailleurs d’arrêter leur activité et de se mettre en sécurité en quittant immédiatement le lieu de travail (article L4132-5 du Code du Travail).
En cas de désaccord entre l’employeur et le CSE, une réunion exceptionnelle sera organisée dans un délai maximum de 24 heures. Il est possible de saisir :
- L’inspection du travail ;
- Le préfet ;
- Ou d’agir en justice.
Si un accident survient dans le cadre d’une procédure d’alerte, les juges pourront retenir le manquement à l’obligation de sécurité et une faute inexcusable de sa part.