Référents harcèlement sexuel et agissements sexistes : quel bilan depuis leur mise en place ?
Par Agnès Redon | Le | Qvct et santé
Les référents ont-ils des moyens suffisants pour exercer leur mandat ? Les référents qui sont des lanceurs d’alerte sont-ils suffisamment protégés ?
Ce sont notamment les sujets qui ont été abordés lors du colloque sur le bilan des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes, organisé le 28 septembre 2022 par le Groupe Technologia à Paris, un cabinet spécialisé en évaluation et en prévention des risques.
Le cadre légal
- Un référent chargé de la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes doit être désigné par l’employeur dans les entreprises de plus de 250 salariés. Depuis le 1er janvier 2019, les employeurs d’au moins 250 salariés doivent désigner un référent “sexisme” (article L1153-5-1 du Code du Travail).
- Un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes doit être désigné par le CSE parmi ses membres, sous la forme d’une résolution adoptée selon des modalités définies par l’article pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité (article L2314-1 du Code du Travail).
- Le référent harcèlement bénéficie d’une formation jugée nécessaire à l’exercice de ses missions en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail qui a pour but entièrement prise en charge par l’entreprise (article L2315-18 du Code du Travail).
- La Convention 190 - Convention sur la violence et le harcèlement (dans le monde de l’entreprise) a été adoptée par l’OIT en 2019 et a fait l’objet d’une ratification via la Loi n° 2021-1458 du 8 novembre 2021. Elle ferait l’objet d’une renégociation au niveau Européen, qui n’intégrerait pas les moyens nécessaires au plein exercice des référents dans leur mandat.
Les moyens du référent
Un référent ne bénéficie d’aucune heure de délégation complémentaire pour exercer sa mission. En tant qu’élu du CSE, le référent peut utiliser ses heures de délégation, par exemple pour mener des enquêtes en cas de harcèlement au sein de l’entreprise.
Pour lutter contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, il ne bénéficie pas non plus de pouvoirs supplémentaires, par rapport à ceux dont il dispose déjà en tant qu’élu de CSE, à savoir :
- Le droit d’alerte ;
- la liberté de circulation au sein de l’entreprise ;
- le statut de salarié protégé.
Retours d’expérience
« Nous demandons des moyens supplémentaires et le retour du CHSCT »
« Malheureusement en tant que référente, je n’ai pas réussi à négocier des moyens supplémentaires. Je demande à avoir un vrai mandat. Cependant, le Code du Travail est très vague sur notre mission. De plus, nous avons perdu le CHSCT et c’est un problème majeur pour lutter contre les agissements sexistes. C’était l’instance qui avait le plus de pouvoir sur le sujet », déplore Tania Douvier, secrétaire du CSE et référente harcèlement sexuel et agissements sexistes, membre de la CSSCT, au Crédit Foncier et Communal d’Alsace et de Lorraine (CFCAL), déléguée syndicale CGT-FO.
Ahmed Ber Rahal, référent harcèlement sexuel et agissements sexistes, CGT RATP, regrette également un manque de moyen. Dans ce « milieu masculin qu’est la RATP, je suis le référent unique pour 19 600 salariés, je ne peux pas participer aux enquêtes internes et je n’ai ni bureau ni ordinateur pour recevoir les personnes en détresse. Quand on veut vraiment agir contre les agressions sexuelles, il faut s’en donner les moyens ».
« Concernant la formation, si on éprouve le besoin d’être mieux formé, on peut en faire la demande dans notre organisation syndicale », signale Karine Rieux, référente nationale harcèlement sexuel et agissements sexistes du CSE OBS Orange S.A. et élue titulaire CSE CFE-CGC Orange
Une position fragile
Outre le manque de moyen, Ahmed Ber Rahal accuse la RATP de vouloir le licencier pour avoir dénoncé les agressions sexuelles. Il pointe ainsi la position fragile des référents lorsqu’ils dénoncent des agissements sexistes. « On m’accuse d’avoir harcelé un de mes collègues, un cadre de l’entreprise, lui-même accusé par une femme pour des faits d’agression sexuelle. Elle a déposé une main courante et en tant que référent, j’ai été contacté par cette femme. Au lieu de convoquer mon collègue, c’est moi qu’on a convoqué. On me reproche d’avoir fait mon travail de délégué syndical. Ce n’est pas un cas isolé, car j’ai déjà dû traiter plusieurs cas de harcèlement sexiste et d’agressions sexuelles, mais la peur du licenciement les empêche de parler. J’allais être licencié de mon réseau autobus, mais l’inspection du travail de Seine-Saint-Denis s’y est opposée par courrier le 26 août 2021. Le ministère du Travail a également rejeté ce licenciement. On a reconnu que je ne faisais que mon travail d’élu ».
« Dans des risques graves de harcèlement et/ou d’agression sexuelle identifiés, il faut agir rapidement. En l’absence de véritable réponse de la direction, les élus de CSE doivent matérialiser ces problèmes dans les procès-verbaux de réunion, puis recourir à un expert. Sur des infractions très graves, le juge pourra demander la perquisition de ces rapports écrits. Le rapport d’expertise permet de libérer la parole des salariés en sécurité mais aussi d’engager un dialogue constructif avec la direction et un plan d’action adapté à l’entreprise », explique Valentine Bregier, directrice juridique et RH du Groupe Technologia.