Droits des salariés

Comment voir le senior autrement que comme un coût ? (webinaire Miroir social/Tandem Expertise)

Par Agnès Redon | Le | Qvct et santé

L’emploi des seniors ne bénéficie aujourd’hui pas ou peu du soutien des politiques publiques. Les allégements de cotisations sociales sont essentiellement orientés vers les bas salaires et donc de facto sur les jeunes.
Pour voir les seniors en entreprise autrement que comme des coûts, que faut-il faire ?
Focus avec le webinaire organisé par Miroir social, en partenariat avec Tandem expertise le 17 février 2023.

Pour voir les seniors en entreprise autrement que comme des coûts, que faut-il faire ? - © D.R.
Pour voir les seniors en entreprise autrement que comme des coûts, que faut-il faire ? - © D.R.

Des politiques de soutien à l’emploi aujourd’hui inexistantes

Les politiques publiques en matière d’emploi priorisent aujourd’hui les jeunes, notamment à travers l’apprentissage et l’emploi faiblement qualifié, à travers les allègements de cotisations. Pourtant, l’entrée sur le marché de l’emploi et les fins de carrière sont deux périodes sensibles nécessitant l’une comme l’autre l’appui des politiques publiques.

L’écart naturel entre le salaire moyen des 55-64 ans et celui des 25-54 ans a été calculé à 17 % pour la France en 2020 contre 6 % en moyenne pour les pays de l’OCDE. Ainsi, la croissance de la rémunération avec l’âge reste comparativement plus importante en France.

« L’absence de politique publique de soutien à l’emploi des seniors, et la politique de réduction de cotisations orientée sur les bas salaires favorisent le développement de politiques d’éviction des séniors. Lorsqu’elles ne sont pas motivées par un souhait de renouvellement accéléré des compétences signant alors l’échec de la GEPP, ces politiques d’éviction sont motivées par la recherche d’économies de court terme (effet noria) qui peuvent être questionnées sur le plan économique », indique Damien Lorton, consultant chez Tandem Expertise.

La focalisation des entreprises sur le coût du travail dans ce contexte redouble la nécessité :

  • D’une politique de soutien public ciblée sur les seniors ;
  • D’une remise en question de la logique actuelle d’allègement de cotisations.

Les freins et les opportunités de l’emploi des seniors

Au regard du poids des seniors dans la masse salariale, les directions s’emploient à mettre des moyens financiers considérables pour les inviter à partir dans des plans de départs volontaires. Mais les politiques visant au départ anticipé des seniors ne sont pas aussi « économiques » que les entreprises veulent le croire.

Les freins observés sur l’emploi des seniors sont les suivants :

  • La reconnaissance et la mesure de la valeur de l’expérience ;
  • La qualification de la productivité des seniors et son évolution dans le temps.

- D’une part, la productivité individuelle n’est souvent pas directement observable ;

- D’autre part, les estimations macro-économiques sont biaisées car les seniors sont par exemple moins représentés dans les secteurs les plus dynamiques (qui par définition embauchent le plus) ;

Certaines études citées par le rapport de France Stratégie d’octobre 2018 tendent à réfuter l’existence d’un écart de productivité entre salariés jeunes et plus âgés sur une même ligne d’assemblage.

« Malgré un éventuel déclin des facultés physiques ou cognitives avec l’âge, ce qu’on appelle les “soft skills”, qui sont des compétences non liées à l’exercice direct du métier, peuvent prendre relais, par exemple dans la gestion d’une équipe. Il s’agit donc de miser sur l’expérience comme facteur de compensation », explique Damien Lorton.

Le cas des ruptures conventionnelles collectives

En théorie, les ruptures conventionnelles collectives ne doivent pas être instrumentalisées pour devenir un véhicule de départ des seniors.

En pratique, elles comportent des mesures destinées aux séniors :

• Congés de fin de carrière/cessation anticipée d’activité ;

• Rachat de trimestres ;

• Mesures bonifiées en termes d’indemnités, d’accompagnement ou de durée (congé mobilité).

Pousser les seniors au départ expose l’entreprise aux risques suivants :

  • La perte de compétence mal maîtrisée ;
  • La surcharge sur les équipes restantes ;
  • Les coûts induits par la désorganisation et les remplacements, venant annuler tout ou partie des économies visées. 

« La thèse de la complémentarité entre savoir-être et compétences transversales des seniors et savoir-faire « métier » a priori plus à jour des juniors semble confirmée par des études indiquant une hausse de la productivité dans les entreprises mettant en place des équipes intergénérationnelles« .

Les nouvelles formes de travail et ses limites pour l’entreprise

Ces dernières décennies ont connu des évolutions majeures en matière d’emploi salarié avec notamment le développement du portage salarial, nouvelle forme d’externalisation du travail. Elle s’illustre par le terme  »d’ubérisation«  dont la définition est la suivante :

« Remise en cause du modèle économique d’une entreprise ou d’un secteur d’activité par l’arrivée d’un nouvel acteur proposant les mêmes services à des prix moindres, effectués par des indépendants plutôt que des salariés, le plus souvent via des plateformes de réservation sur Internet ».

On parle de la « zone grise de l’emploi », avec une hybridation des deux mondes, à savoir :

  • L’entrepreneuriat indépendant ;
  • Le salariat pur.

Le travailleur indépendant s’inscrit ainsi dans une organisation collective avec :

  • Un client unique ou majeur ;
  • Un contrôle (réunions périodiques, exclusivité, mesure de la performance, etc.) ;
  • Une organisation de la prestation.

« Ce modèle, qui touche de plus en plus les seniors, a été adopté par de nombreux secteurs : transport, livraison, restauration, services à domicile, informatique, journalisme, etc. », signale Nicolas Poirier, consultant chez Tandem Expertise. 

Les limites de ce modèle pour l’entreprise

Du point de vue de l’entreprise, ce modèle comporte des limites sur les domaines suivants :

  • La valeur ajoutée
    • Les tâches à haute valeur ajoutée sont le cœur de l’entreprise ;
    • Or l’activité externalisée est généralement faible en valeur ajoutée.
  • La sécurité
    • La confidentialité et la fuite de données ;
    • Cybersécurité ;
    • La réglementation et le respect des normes.
  • La dépendance
    • La main d’œuvre et sa forte exposition à la fluctuation du marché ;
    • Technologique/commercial : capacité d’adaptation du sous-traitant ;
    • Savoir-faire : perte de l’expertise et des compétences en interne.

Points de vigilance des représentants du personnel

La mobilité interentreprises diminue en fin de carrière, entraînant une hausse de l’ancienneté dans les entreprises. Or les systèmes existants reconnaissant l’ancienneté sont remis en question :

  • La prime d’ancienneté prévue dans les conventions collectives nationales (CCN), qui tend à être supprimée ;
  • Les exigences de productivité/de rendement sont fortes ;
  • Les avantages sociaux spécifiques aux seniors disparaissent.

Dans ce contexte, l’ancienneté (société/métier) du salarié doit être reconnue par plusieurs biais :

  • La prime d’ancienneté ;
  • La rémunération variable ;
  • Les primes exceptionnelles ;
  • L’indemnisation d’absences.

« La reconnaissance de la valeur de l’ancienneté, historiquement inscrite dans certains systèmes de rémunération, tend à disparaître. Il faut engager une réflexion sur le temps de travail et la rémunération en fin de carrière, à travers des accords séniors, en ayant à l’esprit que ces aménagements peuvent contribuer à réduire le coût pour l’entreprise de :

  • L’absentéisme, plus élevé chez les seniors de 8 % chez les plus de 55 ans
  • La prévoyance.

Il est important de procéder à un aménagement de poste, de temps de travail pour les seniors qui peuvent être usés et abîmés. Par exemple, des accords peuvent octroyer des jours de congé supplémentaires en fonction de l’ancienneté. Par ailleurs, pour maintenir l’emploi des seniors, il faut aussi assurer le maintien des compétences. Par exemple, l’entreprise doit former les salariés aux nouvelles technologies », signale Nicolas Poirier.