Droits des salariés

François Cochet, Secafi : « L’écoute au travail est le fondement de la prévention et de la QVT »

Par Agnès Redon | Le | Qvct et santé

L’écoute des travailleurs comme premier principe de prévention doit être adoptée. C’est l’analyse de François Cochet, directeur des activités Santé au travail de Secafi (Groupe Alpha), qui plaide pour un changement de paradigme dans l’organisation des entreprises et des administrations.

François Cochet, directeur des activités Santé au travail de Secafi (Groupe Alpha) - © Secafi
François Cochet, directeur des activités Santé au travail de Secafi (Groupe Alpha) - © Secafi

Pour quelle raison, selon vous, les Français ne sont-ils pas suffisamment écoutés au travail ?

Nombre de dirigeants, issus des grandes écoles, ont une conception très descendante du management.

Comme expert du CHSCT, et aujourd’hui du CSE, j’ai réalisé des milliers d’entretiens avec des salariés pour analyser leur travail. Vous n’imaginez pas la proportion de ceux qui terminent l’entretien en indiquant que c’est la première fois qu’on s’intéresse à leur travail. 

À juste titre, on me rétorquera que le management passe beaucoup de temps à discuter avec les membres de leur équipe. Mais en réalité, une faible proportion de ces échanges porte sur le travail lui-même. Discuter sur les horaires, la disposition des lieux de travail, les objectifs à atteindre, etc.,  voilà des sujets utiles mais périphériques au travail lui-même dont on parle en définitive fort peu. 

Nombre de dirigeants, issus des grandes écoles, ont une conception très descendante du management : la direction définit la stratégie et en décline les aspects opérationnels parfois jusqu’au moindre détail. 

Certains dirigeants ne s’en rendent tout simplement pas compte. Je me souviens par exemple d’un dirigeant qui, lorsqu’il entrait dans l’usine, tous les salariés se mettaient quasiment au garde-à-vous et arrêtaient de travailler. Sans même qu’il ne s’en rende compte, il ne voyait pas les salariés en train de travailler et il lui était difficile de vraiment connaître le travail. Pourtant, cette connaissance est le fondement même de la QVT, de la prévention des risques psychosociaux.

Que préconisez-vous pour réduire les risques psychosociaux ?

C’est un principe qui montre le lien évident entre l’écoute et la prévention. 

J’ai été particulièrement intéressé par une des propositions des Assises du Travail. En effet, un rapport a été remis par les 2 garants des Assises, Sophie Thiéry, présidente de la Commission Travail et Emploi du Cese, et Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration de Renault Group, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l’insertion, Olivier Dussopt, le 24 avril 2023.

Il s’agissait pour les partenaires sociaux, des entreprises, des universitaires et des personnalités qualifiées de mener des réflexions sur des grands sujets autour du sens et du rapport au travail. 

Parmi leurs propositions, celle qui a le plus retenu mon attention pour préserver la santé physique et mentale des travailleurs consiste à ajouter un 10e principe général de prévention à l’article L.4121-2 du Code du travail, à savoir écouter les travailleurs sur :

  • la technique ;
  • l’organisation du travail ;
  • les conditions de travail ;
  • les relations sociales.

C’est un principe à la fois simple et robuste, qui montre le lien évident entre l’écoute et la prévention. 

Vous dénoncez des situations de travail encombrées de tâches inutiles. Lesquelles plus précisément ? 

Ce manque de confiance se traduit de nos jours par des systèmes de contrôle informatique puissants.

Les salariés qui passent plus de temps à justifier leurs tâches qu’à les faire, à qui on explique sans cesse comment ils doivent travailler, et qui ne sont ainsi pas respectés, sont davantage exposés aux risques psychosociaux que ceux auxquels on fait confiance en leur travail et en leur autonomie. 

Ces tâches inutiles s’expliquent aussi par l’angoisse ancienne de toute direction de ne pas savoir exactement ce qui se passe dans l’entreprise. Il ne suffit pas de travailler, il faut démontrer en permanence qu’on travaille. Il s’agit en réalité d’un manque de confiance.

Cela se traduit de nos jours par des systèmes de contrôle informatique puissants, des comptages, des tableaux de bord, etc. Résultat, le temps consacré à ce contrôle nuit à la productivité. Par exemple,

  • je connais un dirigeant qui a fait supprimer 120 tableaux de bord dans son entreprise. Il me disait que les seules personnes ayant remarqué cette suppression étaient celles qui les remplissaient.
  • Il y a aussi des infirmiers qui passaient plus de temps à consigner leurs actes qu’auprès des patients. C’est un gaspillage terrifiant.

Que peuvent faire les représentants du personnel pour renforcer l’écoute des salariés ? 

Si les élus s’emparent bien du cadre législatif prévu, ils sont en capacité d’obliger la direction à les écouter.

En matière de qualité de vie au travail, les représentants du personnel peuvent faire des propositions concrètes que l’employeur n’a pas le droit d’ignorer. Lorsque la direction présente son plan de prévention (PAPRIPACT), le CSE donne son avis général et fait des propositions auxquelles l’employeur doit répondre. En fin d’année, la direction présente son bilan SSCT (article L.2312-27 du Code du travail) et doit se justifier sur les motifs d’inexécution des mesures initialement prévues.

Si les élus s’emparent bien du cadre législatif prévu, s’ils sont tenaces et précis dans leurs propositions, ils sont en capacité d’obliger la direction à les écouter.

Ce qui est paradoxal, c’est que certains représentants du personnel, dans leur rôle de porte-parole, peuvent se satisfaire d’une situation où on les écoute eux en priorité, et moins les salariés. Certains détestent que la direction aille directement parler aux salariés, car ils veulent être les seuls interlocuteurs. Ces cas sont heureusement rares.

Quels sont ces obstacles à dépasser ?

Un rapport de confiance doit s’instaurer.

Une partie des salariés ne veulent pas parler de leur travail, parfois par méfiance et à juste titre, s’ils sont convaincus que les informations données se retourneront contre eux. Un rapport de confiance doit donc s’instaurer.

J’ai souvent observé aussi que l’écoute de certains dirigeants se limite parfois à répondre aux objections de l’information-consultation du CSE. Ils présentent un projet bouclé et achevé, ce qui est un point de blocage du dialogue social.