Violences conjugales : comment l’entreprise peut-elle accompagner les victimes ?
Par Agnès Redon | Le | Qvct et santé
Quel rôle peut jouer l’entreprise dans l’assistance et la protection des victimes de violences conjugales ? Le sujet a été abordé lors du colloque organisé à Paris le 28 février 2023 par le Groupe Technologia, un cabinet spécialisé en évaluation et en prévention des risques.
Le 16 février 2023, le Sénat a adopté définitivement en 2ème lecture sans modification et à l’unanimité la proposition de loi, qui vise à créer une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales.
Dans ce contexte de protection accrue, quel rôle peut jouer l’entreprise dans l’assistance et la défense des victimes de violences conjugales ?
Déceler les signes de la violence : l’importance des collègues
Amélie Quintana, Présidente de l’association Cité de la RSE et de l’Impact Montpellier, a travaillé avec Sarah Barukh. Elle témoigne au nom de sa collègue, entrepreneure, réalisatrice et romancière, qui a mené une enquête de 2 ans pour identifier et retrouver les familles victimes de féminicides.
Ce qui a abouti à la conception de l’ouvrage collectif « 125 et des milliers » (sorti en mars 2023), dans lequel 125 personnalités racontent 125 victimes de féminicides.
Il n’a pas fallu longtemps à Amélie Quintana pour comprendre « que ça n’allait pas » avec le compagnon de Sarah. « Il fallait respecter tout un tas de règles », relate Amélie Quintana.
En effet, l’agresseur de Sarah Barukh l’obligeait à quitter des séances de travail pour répondre au téléphone. Il lui interdisait de porter certaines tenues vestimentaires ou d’assister à des réunions avec des hommes.
« Elle recevait beaucoup de messages qui la forçaient à sortir de réunion. Lorsqu’elle a eu la main cassée, je ne l’ai plus lâchée jusqu’à ce qu’elle porte plainte. »
« Les collègues sont très utiles dans ces cas de violence, mais, tant que la victime ne sait pas dans quoi elle se débat, c’est un peu vain », indique Ghada Hatem-Gantzer, médecin-cheffe et fondatrice de La Maison des femmes Saint-Denis, et fondatrice du réseau Restart en mars 2021.
Céline Marcovici, avocate au barreau de Paris en droit des personnes et de la famille et présidente de l’association Avocats femmes et violences, souligne aussi l’importance des collègues :
« Dans le dossier des victimes de violence, les attestations de témoignage sont pour la plupart celles des collègues de travail, qui passent beaucoup de temps avec la victime et connaissent bien ses habitudes, son investissement au quotidien. En ce sens, ils ont un rôle primordial. »
Les possibilités d’accompagnement de l’entreprise
Comment l’entreprise peut-elle aider les victimes de violence ?
Sandrine Bouchait, présidente de L’Union Nationale des Familles de Féminicides (UNFF), estime que l’entreprise a son rôle à jouer dans la prévention des violences.
Elle peut :
- Etre un Facteur de libération de la parole pour certaines femmes ;
- Accompagner les victimes dans la recherche de structures, d’associations et de conseils.
« Signaler des violences n’est pas de la délation, c’est de l’assistance à personne en danger. Voilà ce qu’il faut retenir », souligne-t-elle.
De son côté, Jérôme Gay, avocat pénaliste au barreau de Guyane, rappelle qu’il incombe à l’employeur la responsabilité de veiller à la santé et à la sécurité physique et mentale de ses employés, en mettant en place des actions de prévention, d’information et de formation.
Il s’agit notamment d’actions de prévention sur les risques psychosociaux comme la surcharge de travail, l’agression et la violence interne et/ou externe.
Virginie Linard, DRH France du Groupe UP, confirme le rôle de l’employeur et énonce les actions engagées contre les agissements sexistes depuis plusieurs années dans son entreprise.
Elles se déclinent en 3 étapes :
- L’information. « Parler des violences conjugales au sein de l’entreprise est important. Par exemple, nous avons communiqué sur les bonnes manières d’agir quand un collègue détecte une victime de violences. » ;
- La formation et la sensibilisation contre les agissements sexistes et le harcèlement moral, qui permet de libérer la parole. D’ailleurs, ce message s’adresse également aux agresseurs potentiellement présents dans l’entreprise ;
- Donner les moyens d’agir.
« Concrètement, nous avons une assistante sociale et nous formons les représentants du personnel sur le sujet. Car il n’est pas toujours évident pour une victime de s’adresser à la direction. »
« Par exemple, grâce à ces relais, nous proposons un aménagement des horaires de travail pour que la victime puisse chercher un logement, nous accompagnons la mobilité interne d’une salariée pour l’éloigner de son agresseur », indique Virginie Linard.
« Il ne s’agit pas de se substituer aux professionnels mais d’accompagner les salariées victimes, afin que le monde du travail ne soit pas une charge supplémentaire. Cela ne résout pas le problème mais peut l’alléger. »