Fonctionnement

Les enjeux de santé au travail post Covid : quel rôle pour les CSE ? (François Cochet, SECAFI )

Par Agnès Redon | Le | Prérogatives

Depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017, le CSE se substitue aux actuels délégués du personnel dans les entreprises d’au moins 11 salariés et aux trois instances, délégués du personnel, comité d’entreprise et CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Le CSE contribue donc à la promotion de la santé, de la sécurité et des conditions de travail dans l’entreprise. Il peut, à ce titre, réaliser des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Mais, durant la crise sanitaire du Covid-19, comment le CSE peut-il faire face ? Une analyse de François Cochet, Directeur des activités santé au travail de SECAFI, pour CSE Matin.

François Cochet - © Caroline Olivier
François Cochet - © Caroline Olivier

Les prérogatives du CHSCT mises de côté ?

Cette crise sanitaire, dont nous ne sommes pas sortis, a été un bouleversement considérable sur le travail en général. Je pense que nous n’en mesurons encore que les prémices. Le contexte était particulièrement défavorable : les CSE, pour la plupart, venaient d’être mis en place, à la suite des nombreuses élections organisées à la fin de l’année 2019. Lorsque la crise sanitaire est arrivée, les CSE étaient encore fraîchement installés. Ils disposaient, certes, des prérogatives des CHSCT, mais peu savaient vraiment s’en servir. En mars 2020, leur fonctionnement s’est brutalement mis en place en distanciel. Encore tout récemment, j’ai présenté un rapport, sur une question complexe de suicide, uniquement par téléphone. Les intéressés avaient reçu notre rapport en amont mais le dialogue social s’en trouve appauvri. 

Autrefois, les CE s’occupaient des questions économiques et stratégiques tandis que les membres des CHSCT s’intéressaient aux conditions de travail. Or, les nouveaux membres des CSE doivent s’intéresser à ces deux types de sujet sans avoir toujours la même connaissance de chacun d’entre eux. En réalité, une majorité reste davantage motivée par les questions économiques que par la santé au travail. Si les réunions se faisaient en présentiel, ces élus seraient confrontés, de fait, aux sujets qu’ils connaissent moins. Cela les mettrait en quelque sorte en formation. En visioconférence, chacun sait qu’il est aisé de choisir les sujets sur lesquels on investit… Les réunions ne sont donc pas du tout les mêmes qu’en présentiel. Cela n’a pas aidé au bon fonctionnement des CSE pendant la crise.

Comme la plupart des secrétaires de CSE ont surtout l’expérience des CE et non des CHSCT, de nombreuses personnes, dont moi-même, étions inquiètes sur la manière dont les CSE traiteraient les questions de santé au travail. Paradoxalement, la crise sanitaire les a forcés à s’occuper de ces sujets, et c’est tout de même une retombée positive de la situation. Les ordres du jour continuent de faire la part belle aux questions d’ordre économique alors même que les représentants du personnel s’intéressent beaucoup aux questions sur l’organisation du travail. Je suis convaincu que les « questions du CHSCT » n’ont pas disparu. Elles sont probablement moins bien traitées, mais elles ne peuvent pas être absentes. 

« La santé au travail se polarise sur la question du télétravail »

Le télétravail cristallise de nombreux sujets en termes de conditions de travail et de risques psychosociaux. La crise sanitaire a précipité des millions de salariés en télétravail à 100 % et, paradoxalement, aujourd’hui des accords de « retour au travail » sont signés. Les entreprises doivent mettre en œuvre un système pérenne après une « expérimentation grandeur nature ». C’est inédit ! Aucune négociation sociale n’avait eu droit à cet exercice auparavant. La réalité a précédé la phase de négociations, même si c’était dans le contexte brutal et très particulier du confinement. Je travaille depuis très longtemps avec Orange qui pratique le télétravail depuis plus de 10 ans, avec un accord social plusieurs fois amendé. Avant la crise sanitaire, le quart de leurs effectifs télétravaillait régulièrement. Ils étaient donc assez bien préparés. A contrario, beaucoup d’entreprises ont découvert brutalement le sujet. Aujourd’hui, les partenaires sociaux tentent de l’encadrer et je pense qu’ils ont parfaitement raison de le faire. Dans certains cas, le télétravail risque de devenir « un sas de désengagement », avec des salariés qui auront de moins en moins envie de s’investir. De ce point de vue, le premier confinement en 2020 a été une terrible secousse : il a réinterrogé le sens que les gens donnaient à leur travail, en particulier chez les plus jeunes. Ce n’est pas sans rapport avec les difficultés de recrutement dont on parle aujourd’hui.

Les actions possibles du CSE

La négociation du télétravail relève des syndicats mais le CSE ne peut s’en désintéresser. Alors que le CSE doit défendre les intérêts de tous les salariés, l’enjeu du télétravail porte en lui des germes de division et de tensions entre salariés. Les syndicats sont souvent confrontés à des salariés qui veulent télétravailler bien au-delà de ce qui est prévu. Le télétravail a des avantages immédiats, comme l’évitement des temps de transport, et des inconvénients différés : délitement du lien social, engourdissement des connaissances sur celles déjà acquises, management d’équipe devenu encore plus difficile. Il faut donc résister aux demandes de télétravail à 100 %, mais cela reste compliqué. On peut comparer cette problématique au travail de nuit, dont on sait qu’il n’est pas bon pour la santé. Pourtant, certains salariés souhaitent travailler la nuit à cause des primes ou en lien avec leur vie personnelle.

Une action possible du CSE est d’instruire ces questions afin que les salariés puissent prendre des décisions éclairées, par exemple, en initiant une évaluation périodique des conditions de travail. Pour mesurer les effets différés du télétravail, il faut savoir exactement où en sont les salariés. Le CSE peut engager une enquête approfondie et anonyme sur le télétravail tous les 2 ou 3 ans. Une autre difficulté réside dans la situation de ceux qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, télétravailler alors même qu’une majorité de leurs collègues le souhaitent. Ces personnes se retrouvent dans des bureaux vides alors même qu’ils ont besoin des interactions avec leurs collègues.

Les CSE disposent de nombreux droits dont ils n’usent pas toujours en termes de santé au travail. Ils ont hérité des prérogatives du CHSCT et sont forces de propositions dans tous ces domaines. Par exemple, dans une entreprise ancienne avec peu de turn-over, au sein de laquelle les salariés ont l’habitude de travailler ensemble, le télétravail pose peu de problèmes. En revanche, lorsqu’une entreprise recrute et intègre beaucoup de nouvelles personnes, cela peut être plus difficile. Certains accords interdisent le télétravail pour les nouvelles recrues sur une certaine durée. C’est, à mon avis, une bonne disposition à condition de s’assurer que des anciens seront présents sur site pour les guider. Une autre problématique concerne les horaires des encadrants. Certains salariés en télétravail préfèrent commencer tôt pour finir tôt, d’autres plus tard. Mais cela implique que le manager soit sollicité sur une large plage horaire. Il se retrouve avec une dispersion géographique et temporelle de son équipe. Tout cela interroge le CSE sur l’organisation du travail, la durée, le temps et les lieux de travail. La question du flex-office est un sujet qui mobilise de nombreux CSE en ce moment.