Renouvellement des CSE : l’occasion d’un retour réflexif partagé - analyse de Jean-Pierre Willems
Par Agnès Redon | Le | Prérogatives
Une vague montante de renouvellement de CSE permet de réaliser un premier bilan. Jean-Pierre Willems, chargé d’enseignement politiques droit et pratiques de formation - master DRH à l’Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne, livre son analyse.
- 90 000 CSE ont été mis en place depuis 2018, selon le ministère du Travail ;
- 20 000 seront renouvelés en 2022 ;
- Une vague sera plus importante en 2023 puisque 50 000 CSE arriveront au terme de leurs premiers mandats ;
- L’année 2024 devrait encore voir 20 000 retardataires procéder au renouvellement de l’institution et l’arrivée de nouveaux entrants.
Ce bilan peut être mené au niveau national, c’est notamment le travail conduit par France Stratégie, mais sa pertinence sera sans doute plus élevée au niveau des entreprises, tant les pratiques de fonctionnement s’avèrent être différentes.
L’intérêt d’un premier bilan est d’autant plus important que le CSE est une instance nouvelle que les entreprises et les élus devaient s’approprier dans leur contexte propre.
La pandémie, qui a nécessité beaucoup d’adaptations dans les procédures de dialogue social, n’a pas facilité cette appropriation. Une prise de recul peut être nécessaire pour identifier les aménagements et pour définir un cadre adapté au dialogue social dans l’organisation. Par le biais notamment de la négociation puisque la loi lui accorde désormais une très large place dans la détermination des moyens et modalités de fonctionnement du CSE.
Le bilan réalisé par France Stratégie
Les objectifs attachés à la mise en place du CSE étaient de :
- simplifier le dialogue social, en supprimant les redondances,
- de le recentrer sur les enjeux prioritaires à travers la concentration des pouvoirs au sein d’une instance unique.
- de simplifier la vie des entreprises et leur réactivité face à des procédures de consultation souvent jugées limitantes voire dilatoires.
A l’instar des bilans concernant les 35 heures par exemple, il n’est pas simple de réaliser une « photographie » d’une réalité sociale diverse et complexe qui permettrait de faire un bilan en blanc ou noir d’une réforme sociale.
C’est donc avec beaucoup de prudence que le comité d’évaluation des ordonnances de 2017 aborde dans son rapport publié en décembre 2021 le bilan de la mise en place des CSE.
Si l’on s’en tient aux grandes lignes de ce bilan, il pointe un taux de couverture des entreprises plutôt stable par rapport aux instances antérieures, une augmentation forte des accords conclus avec les CSE (par rapport aux accords signés avec les représentants élus antérieurement), une présence minoritaire de délégués de proximité en sus des CSE et corrélativement une plus grande centralisation des relations sociales.
Si les élus, au terme du premier cycle de fonctionnement des CSE, expriment des réserves moins fortes sur la réforme que lors de son lancement, les critiques demeurent majoritaires au premier rang desquelles le manque de temps pour l’exercice des fonctions, la complexité des sujets abordés, la perte d’attractivité des mandats ou encore la difficulté à disposer des compétences nécessaires au bon exercice des fonctions représentatives.
Parmi les difficultés également pointées par le rapport, les relations entre les différentes commissions et le CSE, notamment en ce qui concerne la Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT).
La disparition des CHSCT, dont les compétences ont été reprises par le CSE et non par la CSSCT, a manifestement perturbé les habitudes et n’a pas toujours permis de trouver dans un temps court de nouvelles pratiques satisfaisantes.
On n’omettra pas de souligner que la crise sanitaire, intervenue dès la fin du cycle de mise en place des CSE, n’a guère favorisé l’appropriation par les élus mais également par les services ressources humaines ou direction, du nouveau format.
Les positions des organisations syndicales
Dans le bilan dressé par les organisations syndicales, la logique du quantitatif comme condition du qualitatif demeure très présente.
Ainsi, parmi les propositions de la CFDT on retrouve l’augmentation du crédit d’heures, la participation des suppléants aux réunions, la généralisation des CSSCT ou encore celle des représentants de proximité. FO appelle à un retour aux CHSCT et aux délégués du personnel. Même tonalité à la CGT ou à la CFE-CGC qui appellent à revenir sur les ordonnances travail.
Au-delà de la contestation d’une réforme non souhaitée par les organisations syndicales, on perçoit les craintes liées à des enjeux plus larges :
- La centralisation qui résulte de la mise en place des CSE a conduit à donner davantage de responsabilités aux élus et à mobiliser davantage également de leur temps. De ce fait, il a réduit le champ des candidats potentiels qui auparavant pouvaient s’engager sur des mandats moins larges (délégués du personnel et dans une moindre mesure CHSCT car un CHSCT qui jouait son rôle pouvait avoir un champ très large) ;
- Cette moindre attractivité des mandats doit être mise en perspective avec le vieillissement des salariés syndiqués et la problématique qui va devenir aigüe pour bien des organisations, du renouvellement générationnel ;
- Si l’on ajoute l’évolution forte de la nature même de la relation entre l’entreprise et les salariés mises en lumière par la crise sanitaire, la question de l’avenir de la représentation du personnel, et notamment de la représentation syndiquée, peut effectivement constituer une source de préoccupation.
Un bilan au niveau de l’entreprise : l’occasion de clarifier les objectifs et moyens du dialogue social
Réaliser un bilan du premier cycle de fonctionnement du CSE, c’est l’occasion de préciser, pour chacune des parties, ce qu’elle attend du dialogue social avant de discuter des éventuels moyens nécessaires à l’attente de ces objectifs.
L’occasion également de dépasser un dialogue de sourd que l’on rencontre assez souvent sur le terrain :
- Des directions d’entreprises qui prennent parfois ombrage du statut des élus (liberté d’utilisation du crédit d’heures, faible contrôle sur l’usage réel, protections des élus, régularisation de situation ne tenant pas compte du travail réel, etc.) ;
- Des élus qui ont le sentiment que leur action est vaine puisqu’elle n’entame en rien la capacité de l’entreprise à décider librement de ses projets et des moyens de sa mise en œuvre sous la seule réserve d’une consultation du CSE dont l’avis demeure purement consultatif.
Lorsque de tels sentiments sont ancrés, le dialogue social revient souvent à un dialogue purement formel.
D’où l’intérêt, si l’on accepte de jouer cartes sur table et de ne pas privilégier l’ambiguïté comme mode de management, de réaliser un bilan du premier cycle de fonctionnement des CSE.
Comment faire un bilan du premier cycle de fonctionnement du CSE
Sans que cela ne soit exhaustif, on peut identifier 8 thématiques pouvant entrer dans le cadre du bilan.
Les indicateurs quantitatifs du dialogue social dans l’entreprise
Le bilan pourrait débuter par une approche quantitative qui pourrait s’intéresser aux indicateurs suivants comme le nombre :
- de réunions tenues par le CSE (ordinaires, extraordinaires) et partant la fréquence moyenne de ces réunions ;
- de consultations réalisées et le nombre d’avis émis par le CSE ;
- de demandes présentées par le CSE ;
- de thèmes ou sujets traités par le CSE.
Les moyens du CSE et son organisation
Dans ce domaine, le bilan pourrait s’intéresser :
- au temps de délégation des membres du CSE et aux pratiques de dons d’heures de délégation ou de report de ces mêmes heures ;
- au taux de présence (ou d’absentéisme) aux réunions du CSE ;
- au nombre de suppléants ayant participé à des réunions ou travaux du CSE ;
- à la manière dont le CSE a organisé son action et, notamment, spécialisé (ou non) certains de ses membres sur certains sujets ;
- au fonctionnement des commissions s’il en existe : participation des membres, nombre de réunions, travaux produits, relations entre les commission et le CSE, etc.
- aux formations suivies par les membres du CSE ainsi qu’au dispositif utilisé (formation économique, formation santé, CFESS, utilisation du CPF, inscription de formations pour les élus dans le plan de développement des compétences, etc.)
- à l’utilisation du budget de fonctionnement : postes de dépenses, utilité des moyens mis en œuvre,…
Les engagements de l’entreprise vis-à-vis du CSE
Quatre points peuvent être abordés sur cette thématique :
- l’alimentation de la Base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) ;
- les informations fournies, en complément de la BDESE, à l’occasion des consultations ponctuelles ;
- le processus de consultation lui-même et notamment les délais de consultation, les sujets ayant donné lieu à consultation, la qualité des débats et des avis formulés, leur prise en compte par l’entreprise,…
Analyse qualitative des consultations
Le bilan peut recenser les thématiques les plus fréquemment traitées par le CSE et à l’inverse celles sur lesquelles il n’a pas été amené à travailler,
Initiatives du CSE
Le CSE n’agit pas qu’en réaction aux informations ou consultations initiées par l’employeur. Il est en capacité de prendre des initiatives et de conduire des travaux selon sa politique et ses priorités. Peuvent ainsi entrer dans le bilan de l’action du CSE les programmes de travail dont il s’est doté et les productions réalisées.
L’action en matière d’ASC
Les activités sociales et culturelles constituent une part importante de l’activité du CSE. Elles relèvent d’une politique du CSE qui peut être évaluée en regardant la nature des activités mises en place, les bénéficiaires, la satisfaction des salariés au regard des prestations du CSE, etc.
Relations entre le CSE et les salariés
En tant qu’instance de représentation du personnel le CSE doit effectuer un travail d’aller-retour entre les salariés et la direction.
Dans ce cadre, les contacts avec les salariés, les échanges, les réunions, les informations, les enquêtes, les questionnements, etc. sont autant d’outils de nature à traduire les souhaits des salariés auprès de l’employeur mais également à légitimer l’action du CSE.
Bilan global du travail entre l’entreprise et le CSE
A l’aide de l’ensemble des éléments précédents, il est possible de tracer un bilan global de l’action du CSE, des moyens qu’il a mobilisé pour agir, des résultats qu’il a obtenu.
Cette analyse globale sera d’autant plus pertinente qu’elle pourra faire l’objet d’une évaluation croisée :
- Quel bilan tire l’employeur de sa relation avec le CSE ;
- Quel bilan dresse le CSE de sa relation avec l’entreprise.
- Quelles sont les bonnes pratiques qu’il faut préserver, quelles sont les pratiques à améliorer.
- Et enfin les questions clés que le bilan doit alimenter :
-Des objectifs peuvent-ils être définis pour le travail entre l’entreprise et le CSE ?
-Peut-on définir les critères et indicateurs d’un dialogue social de qualité pour chacune des parties ?
Négocier un accord à l’occasion du renouvellement du CSE
Réaliser un bilan de quatre années de fonctionnement du CSE permet d’identifier les points d’amélioration. Peut-être que certains ne nécessiteront pas de recours à la négociation pour être traités, notamment lorsqu’il s’agit pour le CSE de mieux organiser son action ou de mieux répartir le travail entre ses membres. Mais de nombreux sujets nécessitent de conclure un accord pour pouvoir être traités.
On peut notamment identifier 6 domaines dans lesquels la conclusion d’un accord est nécessaire mais surtout pourrait s’avérer fort utile :
- la mise en place de représentants de proximité ;
- les moyens reconnus aux membres des CSE ;
- la définition des commissions du CSE, de leurs missions et de leur fonctionnement ;
- le contenu de la BDESE ;
- les modalités de consultation du CSE ;
- le financement des ASC.
La mise en place de représentants de proximité
Les entreprises ont expérimenté plusieurs solutions pour pallier à la suppression des délégués du personnel. On peut ainsi identifier des entreprises qui :
- ont mis en place des représentants du proximité selon le cadre légal (nomination des représentants par le CSE) ;
- ont mis en place des délégués de terrain désignés par les organisations syndicales (pour éviter une désignation exclusive par le syndicat majoritaire au CSE) ;
- ont créé au sein du CSE une commission spécialisée sur les questions individuelles ;
- ont reproduit au sein du CSE le processus qui existait avec les délégués du personnel : une liste de questions transmises avant la réunion auxquelles l’employeur répond pendant la réunion ;
- ont introduit dans l’ordre du jour du CSE une séquence « Questions diverses » qui permet aux élus de poser des questions individuelles ou collectives ;
- n’ont pas traité le sujet qui se trouve de fait évacué du dialogue social.
Les moyens reconnus aux membres du CSE
Les premiers bilans font apparaître que les élus du CSE investis de fonctions (le secrétaire, le trésorier, les élus chargés des activités sociales et culturelles, etc.) manquent parfois de temps pour la réalisation de leurs missions qui peuvent s’avérer chronophages.
La tentation est grande de s’adresser à l’employeur pour demander des crédits d’heures supplémentaires. Ce dernier pourra toutefois renvoyer aux possibilités de partage des heures de délégation entre les membres du CSE avant de concéder du crédit supplémentaire.
La définition des commissions, de leurs missions et de leur fonctionnement
En matière de commissions, la loi est supplétive (sauf pour la Commissions santé sécurité et conditions de travail - CSSCT).
Lorsqu’un accord est conclu, il fixe de manière limitative les commissions que peut créer un CSE. Il définit également les moyens dont elles peuvent disposer, les missions qui leur sont assignées, leur composition et le mode de relations avec le CSE.
Un accord est donc une manière de se doter d’un cadre adapté aux besoins de l’entreprise plutôt que de n’avoir comme possibilité que les commissions obligatoires dans les entreprises de 300 salariés et plus.
Le contenu de la base de données économiques, sociales et environnementales
Pour les entreprises de 300 salariés et plus, de négociation est une opportunité.
Pourquoi ? parce que le contenu de la BDESE tel que défini par le code du travail ne permet pas un travail de qualité. En effet, pour ces entreprises l’ancien bilan social a été intégré, sans aucun changement, à la BDESE. Or le bilan social datait de 1978 et ses indicateurs n’ont jamais été révisé.
Il en résulte que des rubriques entières de la BDESE sont aujourd’hui totalement obsolètes et ne correspondent guère à la réalité ni même à un reporting social pertinent.
A titre d’exemple, les rubriques « formation professionnelle » et « hygiène et sécurité » sont totalement périmées. Le choix sera donc soit :
- de faire un accord pour réformer la BDESE,
- de continuer à travailler (forcément mal) avec des indicateurs d’un autre temps.
Les modalités de consultation du CSE
C’est un domaine qui a été peu investi par les employeurs, sachant que la loi a largement déblayé le terrain en prévoyant un délai maximum pour une consultation du CSE de un mois. Ce qui signifie qu’elle peut aussi bien se tenir en sur un calendrier d’une semaine que de trois semaines, mais qu’en tout état de cause à la fin du mois elle est terminée.
Toutefois, l’entreprise pourrait utiliser la négociation pour éviter les malentendus sur les informations à communiquer ou les délais (le point restant conflictuel), se dotant ainsi d’un cadre négocié.
Le financement des activités sociales et culturelles (ASC)
Si une entreprise prévoit par accord les modalités de financement des ASC, les règles légales (maintien du montant des dépenses de l’année précédente incluant les dépenses directes de l’entreprise) ne s’appliquent plus.
Cette négociation permet donc à l’entreprise et au CSE d’avoir un environnement stabilisé.
Conclusion
- Jamais notre droit du travail n’a autant renvoyé à la négociation pour les missions, l’organisation, les moyens et le fonctionnement d’une instance représentative.
- Le champ du négociable concernant le CSE est très largement ouvert. S’en saisir, après avoir fait le bilan d’un premier cycle de fonctionnement de l’instance, c’est aussi une manière de construire paritairement le cadre dans lequel va s’exercer le dialogue social pendant les prochaines années.