Une négociation collective toujours plus proche de l’entreprise ? (via La Revue de l’IRES)
Par Agnès Redon | Le | Prérogatives
Le numéro de La Revue de l’IRES, paru en mars 2023, s’intéresse à la dynamique du dialogue social en France. Dans un contexte de réformes institutionnelles, quel est l’état de la négociation collective ?
Les articles réunis dans La revue de l’IRES sont issus de travaux menés dans le cadre d’un appel à projet de recherches (APR) qualitatives et quantitatives de la Direction de l’Animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) intitulé « Les relations de travail dans un contexte de réformes institutionnelles ».
Les auteurs de la revue constatent que les réformes institutionnelles, « plutôt que de s’accompagner d’une amélioration du dialogue social, tendent à conforter le pouvoir patronal ».
Face à l’éclatement des entreprises, une représentation collective mise en défaut
L’étude des auteurs Nadine Thèvenot, François-Xavier Devetter, Maé Geymond, Coralie Perez, Corinne Perraudin et Julie Valentin souligne une représentation collective en défaut dans un contexte d’éclatement des entreprises.
En effet, dans l’entreprise est « éclatée » dans le sens où « s’exercent des rapports de dépendance via des relations de sous-traitance, de filialisation ou encore dans le cas d’entreprises multi-sites ». Cet éclatement des entreprises tend à « accroître la difficulté de cette construction par la division de la main-d’œuvre qu’il implique. »
Les constats des auteurs sont les suivants :
- Une réduction parfois prononcée des moyens humains avec la mise en place du CSE, via un nombre plus faible d’établissements représentés dans l’instance, mais surtout via la diminution du nombre d’élus et/ou d’heures de délégation dans la nouvelle instance, sans changement de périmètre.
- Le rallongement et la densification des réunions du CSE ;
- Les difficultés rencontrées par les représentants du personnel à se mettre à jour des changements ;
- Le faible usage des représentants de proximité ;
- « Un changement majeur concernant le passage du CHSCT à la Commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), dont le rôle s’est considérablement amoindri ».
Ainsi, concluent les auteurs, « de manière saisissante, les ordonnances Macron ont modifié en profondeur le fonctionnement des IRP, mais ne portent pas trace de la prise en compte de cette forme désormais dominante qu’est l’entreprise “éclatée” ».
La négociation collective sous hégémonie patronale ?
L’étude menée par Baptiste Giraud, Camille Signoretto et François Alfandari se penche sur la négociation collective, qui se situe selon eux, sous hégémonie patronale.
Avec les nouvelles règles de la négociation collective, les représentants syndicaux semblent « avoir perdu en grande partie la maîtrise de l’agenda des enjeux négociés au profit du patronat ».
« La promotion du dialogue social en entreprise s’opère par ailleurs dans un contexte très contraint pour les représentants du personnel, sous l’effet conjugué de l’affaiblissement de l’ancrage militant des organisations syndicales, de la pression actionnariale liée à la financiarisation du capitalisme, et du morcellement du tissu productif », indiquent-ils.
L’étude montre ainsi « à quel point les négociations salariales collectives ne s’organisent en réalité que de façon très inégale dans les entreprises, et s’opèrent très souvent dans un cadre institutionnel et économique puissamment contraint, sans que les représentants du personnel soient en mesure d’obtenir en échange des contreparties significatives sur les conditions de travail ou l’emploi. »
La mise à l’épreuve des CSE en période de crise
L’article d’Amandine Michelon se penche sur la période de crise sanitaire qui a fait ressortir, selon elle, les tensions que soulève le passage au CSE.
La crise liée à la pandémie de Covid-19 en France en 2020 a accentué « les rapports qu’entretenaient auparavant les acteurs à la nouvelle instance »
« Là où les CSE n’étaient que peu sollicités, les acteurs les délaissent entièrement. Ailleurs, les acteurs les vident presque entièrement de leur substance en se contentant d’une simple information auprès des élus », indique Amandine Michelon.
Les évènements de l’année 2020 ont fortement bousculé la représentation du personnel en entreprise.
« La mise en place des CSE met en péril le traitement des questions de proximité auparavant assuré par les délégués du personnel grâce aux réclamations individuelles et collectives, le comité d’entreprise au moyen, entre autres, des activités sociales et culturelles et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail à travers les visites d’établissements », analyse la chercheuse.
« La fusion des instances représentatives du personnel en une seule, le CSE, participe à une centralisation de la représentation du personnel en ce qu’elle ne dote pas les nouveaux élus du CSE, faute d’accord collectif stipulant le contraire, de moyens suffisants pour faire face à leurs nouvelles missions et obligations de consultation. »
La mise en place des CSE interroge également « la place accordée aux questions de santé et sécurité au travail dans la nouvelle instance ».
« Auparavant, les établissements de plus de 50 salariés disposaient de représentants du personnel spécialisés dans la prise en charge de ces questions souvent techniques voire sensibles », indique Amandine Michelon.
La fusion des anciennes instances procède à « un ensevelissement de la santé au travail parmi d’autres thèmes et ainsi possiblement à la dissolution du sujet dans la masse ».
Ainsi, la crise sanitaire a accentué les rapports qu’entretenaient les acteurs à la nouvelle instance, d’après Amandine Michelon : « Là où celle-ci n’était que peu sollicitée, les acteurs la délaissent entièrement, et ce, malgré le rôle qu’elle est supposée jouer en termes d’information et de consultation. De même, là où elle ne vivait qu’avec difficulté, les acteurs la vident presque entièrement de sa substance en se contentant d’une simple information auprès des élus, ou en lui préférant la négociation collective avec les délégués syndicaux ou encore la création d’instances ad hoc. »