Benjamin Suchar (Worklife) : « Plafonner les commissions des titres-restaurant, la seule alternative »
Par Agnès Redon | Le | Logiciels de gestion
L’Autorité de la concurrence a rendu un avis au Gouvernement le 17 octobre 2023 sur le marché des titres-restaurant. Benjamin Suchar, directeur général et cofondateur de l’émetteur de titres-restaurant Worklife (en cours de rapprochement avec Crédit Agricole S.A.), réagit à cet avis.
Comment réagissez-vous à l’avis rendu par l’Autorité de la concurrence au Gouvernement sur le marché des titres-restaurant* ?
Cette décision a fait l’effet d’un choc pour Worklife. L’avis de l’Autorité confirme bien un dysfonctionnement de marché, dû aux commissions élevées des émetteurs historiques, mais il recommande de ne pas les plafonner, seule mesure pourtant visant à rééquilibrer le marché.
Quels sont les points du rapport qui vous semblent contestables ?
Qui serait cet intermédiaire ? Quelle est la garantie d’indépendance ?
Le rapport émet la proposition de “supprimer le droit exclusif de chaque émetteur sur l’acceptation des titres qu’il émet".
Cela permettrait aux commerçants de remettre tous les titres-restaurant reçus en paiement à un intermédiaire de leur choix, lequel négocierait ensuite avec chaque émetteur les volumes remis et le taux de commission. L’idée est belle mais inapplicable selon Worklife. Qui serait cet intermédiaire ? Quelle est la garantie d’indépendance ? Comment serait-il financé par qui ?
L’avis de l’Autorité prend l’exemple du système des carte bancaires, en omettant pourtant de dire que les commissions de ces cartes sont justement plafonnées par les règles européennes via l’IFR (l’Interchange Fee Regulation).
Enfin, à aucun moment, le rapport condamne les rétro-commissions versées aux grandes entreprises qui faussent totalement les règles de concurrence.
En effet, certains émetteurs, en plus d’offrir leur service aux grandes entreprises, les subventionnent : ils reversent une partie des commissions prélevées chez les restaurateurs auprès de ces entreprises sous forme de rétro-commission pour gagner des marchés. Cette pratique devrait être interdite, de notre point de vue.
Quelle solution préconisez-vous pour rééquilibrer le marché ?
Ce sont aussi les salariés qui seraient gagnants de ce plafonnement.
Il faut savoir que 99 % du marché représenté par les émetteurs historiques applique des commissions supérieures à 3,5 %. Instaurer un plafond en deçà, par exemple 2 %, permettrait de trouver une solution structurelle visant à rééquilibrer le rapport de force sur le marché, même si cela constitue un point focal.
Pour garantir un marché concurrentiel, le plafonnement des commissions est la seule mesure applicable.
Avec cette mesure, nous garantissons une acceptation plus large des titres-restaurant par certains commerces qui les refusent encore aujourd’hui, car ils pèsent trop lourd sur leurs charges.
Au final, ce sont aussi les salariés qui seraient gagnants de ce plafonnement. Des commissions plus faibles pour les restaurateurs permettent à ces derniers d’améliorer leur marge et donc de moins répercuter la hausse des matières premières sur les prix en cette période d’inflation. C’est donc un dispositif anti-inflation pour les prix des restaurants.
L’Autorité recommande une accélération de la fin des titres-papier et la dématérialisation obligatoire des titres. Quelle est votre position sur ce point ?
C’est une mesure unanimement saluée et nous y sommes favorables, puisque depuis le début, Worklife ne propose que des titres-restaurant dématérialisés. Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée des PME, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, a d’ailleurs annoncé la dématérialisation de tous les titres-restaurant avant 2026.
*Avis 23-A-16 du 12 octobre 2023 : relatif au projet d’encadrement réglementaire du montant des commissions perçues par les émetteurs de titres-restaurant sur les commerçants agréés par la Commission Nationale des Titres-Restaurant (PDF)