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Vincent Mazuy (Secafi) : « Le CSE doit être le premier lieu de questionnement sur le recours à l’IA »

Par Agnès Redon | Le | Logiciels de gestion

Comme toute nouvelle technologie, l’IA peut avoir des incidences multidimensionnelles pour les entreprises et leurs salariés, notamment sur l’emploi, l’organisation et les conditions de travail ou l’évolution des métiers.
Vincent Mazuy et Clémentine Bienenfeld, consultants chez Secafi, font le point sur ces enjeux.

Clémentine Bienenfeld et Vincent Mazuy, consultants chez Secafi - © D.R.
Clémentine Bienenfeld et Vincent Mazuy, consultants chez Secafi - © D.R.

Quels sont les enjeux de l’IA sur la qualité de vie au travail selon vous ?

Sans une forme de régulation, les incidences pour les salariés peuvent être négatives.

Vincent Mazuy : Tout dépend des objectifs qui sont assignés à l’IA et à sa mise en œuvre. Comme pour une autre technologie, cela peut être vu aussi bien comme :

  • Un simple levier de réduction des coûts, avec le risque d’intensifier le travail et de cantonner les salariés à certaines tâches, notamment celles à forte intensité cognitive.
  • Un levier d’amélioration de la qualité de vie au travail, de la création de richesse par les salariés et donc de la performance des entreprises, si cela peut réduire certaines tâches pénibles ou répondre par exemple aux enjeux d’inclusivité.

Ces deux situations peuvent se retrouver dans la même entreprise. L’enjeu de l’IA est donc particulièrement important dans le dialogue social. Sans une forme de régulation, les incidences pour les salariés peuvent être négatives.

Quels sont les enjeux éthiques de l’IA pour le travail ?

Le recours à l’IA pose également des questions de responsabilité.

Clémentine Bienenfeld : L’IA repose sur l’utilisation de masses de données et peut utiliser des données personnelles mais aussi celles que produit le salarié. L’IA peut participer à la reproduction de biais existants dans la société, pouvant, par exemple, induire des risques de discrimination.

Le recours à l’IA pose également des questions de responsabilité, notamment pour les applications d’aide à la décision. Lors de la sélection des CV : en cas de problème de biais discriminatoires, qui endosse la responsabilité de cette sélection ?

Vincent Mazuy : Il s’agit également d’un rapport de confiance à construire dans l’utilisation de l’outil et qui peut se révéler un frein. Par exemple, dans le cas d’une voiture autonome qui serait pilotée par une intelligence artificielle, les interrogations sont nombreuses sur les responsabilités de chacun. Jusqu’où va-t-on dans la délégation de ces responsabilités et comment maîtriser les risques nombreux en matière de gestion des données, de non-discrimination et de conditions de travail ?

Quel est le rôle des CSE dans la prise en compte de ces enjeux ?

L’intelligence artificielle générative va devenir un sujet du quotidien.

Vincent Mazuy : le sujet de l’IA n’est pas encore massif dans toutes les entreprises, mais il commence à poindre dans leur agenda social. Il n’existe pas beaucoup de régulation dans le recours à l’IA : c’est en ce sens que le CSE peut jouer un rôle important. Ainsi, nous recommandons de :

  • S’intéresser aux enjeux relatifs à l’IA et s’acculturer ;
  • Mettre ce sujet à l’ordre du jour pour que management et élus s’en emparent pleinement ;
  • Préciser et questionner les intentions de l’entreprise en la matière au travers des informations et consultations obligatoires. L’information-consultation sur les orientations stratégiques, leurs conséquences à venir sur l’emploi et les compétences est le premier lieu de questionnement sur le recours à l’intelligence artificielle.

Clémentine Bienenfeld : Nous observons une prise de conscience de la part des élus sur la multiplicité des enjeux de l’IA au sein des organisations. C’est un sujet qui émerge, peut-être plus d’ailleurs que celui de la transition écologique, dans le sens où l’IA impacte directement les conditions de travail et le fonctionnement de l’entreprise.

Vincent Mazuy : L’intelligence artificielle générative va devenir un sujet du quotidien, notamment avec l’implantation d’outils comme Microsoft Copilot qui s’intègre dans sa suite bureautique.

En tant qu’experts, comment intervenez-vous sur le sujet de l’IA dans les entreprises ?

Un processus plus adapté avec des clauses de revoyure doit être envisagé.

Vincent Mazuy : Nous analysons les incidences potentielles de la trajectoire envisagée par l’entreprise en matière d’intelligence artificielle. Nous sommes à la fois sur de la prospective et, le cas échéant, sur l’introduction concrète d’outils. Cela consiste à accompagner et à donner des clés de compréhension. En cas de projet technologique sur lequel nous devons nous prononcer, un accord de méthode négocié nous permettrait d’encadrer une expérimentation au sein de l‘entreprise pour mieux comprendre l’impact de l’IA sur le travail réel et ses incidences potentielles, les risques et les opportunités.

Sur cette base, nous formulerons des préconisations précises sur la manière d’intégrer au mieux cette technologie dans le modèle économique et social de l’entreprise.

Enfin, nous suivrons l’évolution de cette technologie dans le temps. En effet, la caractéristique de l’IA est qu’elle se transforme et que l’entreprise change elle aussi à son contact. La nature des projets IA rend potentiellement peu adaptée l’information-consultation « classique », de sorte que le recours à un processus plus adapté, avec, par exemple, des clauses de revoyure, doit être envisagé.

Plus concrètement, quel est ce processus ?

Il faut avancer par étapes et prendre le temps de chacune d’entre elles. L’expérimentation et l’analyse de ses résultats nous paraissent indispensables à tout déploiement ultérieur, quitte à prévoir un éventuel retrait du projet. Et, en cas de déploiement, la mise en place d’une commission ou autre modalité de suivi pour évaluer les conséquences à échéance régulière est aussi nécessaire.

Concepts clés et définitions : #QVCT (ex QVT) ou Qualité de Vie et des Conditions de Travail , #CSE ou Comité Social et Économique