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Amandine Michelon (Groupe Alpha) « les questions de proximité s’affaiblissent considérablement »

Par Agnès Redon | Le | Mandats

La fusion des anciennes instances représentatives du personnel a entraîné « un alourdissement des mandats des élus et une forme de brouillage entre leurs différentes prérogatives, ce qui a accentué la centralité des organisations syndicales ».
C’est notamment ce qui ressort de l’étude pour le Comité d’évaluation des ordonnances travail, à laquelle a participé le Groupe Alpha, sur la représentation de proximité.
Interview d’Amandine Michelon, doctorante au Centre de Sociologie des Organisations, chargée d’études au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha.

Amandine Michelon, Groupe Alpha - © D.R.
Amandine Michelon, Groupe Alpha - © D.R.

De quelle manière la fusion des anciennes instances représentatives du personnel a-t-elle impacté les questions de proximité ? 

Les élus ont moins de temps pour aller sur le terrain

L’impact dépend évidemment de la taille des entreprises et de la définition du concept de proximité, qui peut être physique, géographique, sociale, qui peut être mesuré par la fréquence des contacts, etc. Les ordonnances de 2017, en modifiant les règles de négociation des accords collectifs et en incitant à la mise en place des CSE par accord, s’appuient sur le principe de proximité, comme source de légitimité de la nouvelle instance. D’ailleurs, Muriel Pénicaud, l’ancienne ministre du Travail, avait défendu ces ordonnances comme la construction d’un « dialogue social au plus près du terrain ».

Cependant, la fusion des instances complexifie leur proximité avec le terrain, même si, là encore, tout dépend de la définition de la « proximité ». En effet, le fait de fusionner les instances réduit le nombre d’élus pour couvrir le même nombre de prérogatives, ou davantage dans les petites entreprises. Les élus ont donc moins de temps pour aller sur le terrain.

Par ailleurs, nous remarquons que le nombre d’heures de délégation diminue par rapport au nombre cumulé des anciennes instances.

Comment explique-t-on la faiblesse de la mise en place des représentants de proximité dans les entreprises ? 

Peu de représentants de proximité sont mis en place. C’est un mandat facultatif et le Code du Travail ne précise que la possibilité de leur mise en place et le fait qu’ils doivent être membres du CSE ou désignés par lui.

Cet aspect facultatif, couplé à une certaine asymétrie des négociations de mise en place du CSE avec un employeur qui a toujours la possibilité d’instaurer la nouvelle instance par décision unilatérale en appliquant le plancher légal, explique la faiblesse de leur mise en place. 

Dans notre étude, entre septembre 2017 et décembre 2019, nous avons estimé qu’un quart des accords de mise en place du CSE a instauré des représentants de proximité, soit 2142 accords.

Dans votre étude, vous décrivez un éclatement des pratiques du dialogue social au sein même des entreprises. Quel est-il ? 

Désormais, nous assistons à un éclatement des pratiques du dialogue social au sein même des entreprises

Nous percevons effectivement un éclatement des pratiques du dialogue social entre les entreprises, qui existait déjà avant le passage au CSE. Mais désormais, nous assistons à cet éclatement au sein même des entreprises, d’un établissement à l’autre, principalement dans les plus grandes entreprises qui sont multi-sites.

Nous observons 2 situations :

  • Le manque de moyens des élus de CSE les conduit à trouver des arrangements en local pour pouvoir mener à bien leurs missions. Par exemple, ils peuvent négocier de manière informelle avec la direction de l’établissement, prendre plus d’heures de délégation que ce qui est prévu dans l’accord. Comme ces arrangements ne sont pas formellement cadrés, ils sont soumis au bon vouloir de la direction d’établissement ;
  • On observe également des façons diverses de traiter les questions de proximité d’un établissement à l’autre, y compris lorsqu’un accord prévoit leur prise en charge : dans une même entreprise, elles peuvent passer par des représentants de proximité mis en place sur un site mais absents d’un autre, par la BDES (désormais BDESE) ou par les questions diverses en CSE.
  • Dans certains établissements, le remplacement des délégués du personnel par les représentants de proximité, qui ont peu d’occasions de se rencontrer, peut provoquer un manque de visibilité des élus entre les différents établissements. 

Cela explique pourquoi les questions de proximité peinent à entrer dans les nouvelles instances ? 

L’instance est engorgée par ses nouvelles prérogatives et les questions de proximité passent souvent dans les questions diverses de l’ordre du jour

Oui cela l’explique en partie. Les représentants de proximité ont moins l’occasion de se réunir avec la direction que ne le faisaient les délégués du personnel. Quant aux réunions du CSE, elles sont souvent décrites comme étant trop longues. L’instance est engorgée par ses nouvelles prérogatives et les questions de proximité passent souvent dans les questions diverses de l’ordre du jour. Elles n’ont pas vraiment de place dédiée si bien qu’il est fréquent qu’elles se retrouvent sacrifiées.

Nous remarquons que parfois, les représentants de proximité sont choisis parmi les élus de CSE. Il est alors difficile de distinguer leurs 2 mandats.

Quel est le rôle joué par les organisations syndicales dans la représentation de proximité ?

Le fait d’avoir un traitement insatisfaisant des questions de proximité contribue à revitaliser le rôle des organisations syndicales

La fusion des anciennes instances a engendré un alourdissement des mandats des élus et une forme de brouillage entre leurs différentes prérogatives. Cela a centralisé le rôle des organisations syndicales.

Le fait d’avoir un traitement insatisfaisant des questions de proximité contribue à revitaliser le rôle des organisations syndicales. En l’absence d’accord collectif qui précise le rôle des représentants de proximité, ils deviennent tributaires de l’investissement que veulent bien en faire les organisations syndicales. 

Par ailleurs, grâce à leur ancrage local, les organisations syndicales ont permis de compenser la perte d’élus sur certains sites. Ainsi, avec la fusion des instances, les organisations syndicales se retrouvent souvent au premier plan.

Pour aller plus loin :

Michelon, Amandine et Antoine Rémond. « Représentation de proximité et organisations syndicales. Le cas de trois entreprises du secteur industriel ». Droit Social n° 3 (2022) : 239-244.

Rapport d’étude final pour le Comité d’évaluation des ordonnances travail, décembre 2021. Pélisse, Jérôme, Cyril Wolmark et al. (CSO, IRERP, Institut du Travail de Strasbourg, Groupe Alpha). « Le représentant de proximité, une figure au cœur des enjeux de la nouvelle représentation des salariés  ».