Assurance maladie : « Supprimer l’indemnisation des arrêts de moins de 8 jours » (Cour des comptes)
Le | Protection sociale
Dans un rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale publié le 29 mai 2024, la Cour des comptes a notamment proposé la suppression de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours. L’objectif serait de limiter « la perte de maîtrise » des comptes de la Sécurité sociale (10,8 Md€ de déficit en 2023, 17 Md€ en 2027).
Les recommandations de la Cour des comptes
Dans son rapport, la Cour des comptes recommande de :
- Mettre en place un pilotage interministériel des exemptions et exonérations de cotisations sociales qui tienne compte de leur soutenabilité financière, des enjeux économiques associés, et de l’équité du prélèvement social ;
- Évaluer les effets de substitution entre salaire et compléments de salaire induits par les taux de prélèvements non homogènes ;
- Mettre en œuvre le principe fixé par la loi du 16/08/2022 de compensation de la perte de recettes résultant de la prime de partage de la valeur, au minimum par l’application du forfait social au taux de 20 % aux entreprises de moins de 250 salariés.
- Compenser par crédit budgétaire le manque à gagner pour la Sécurité sociale de l’exonération des cotisations salariales des heures supplémentaires.
- Rétablir à 30 % le taux de contribution de l’employeur sur les attributions gratuites d’action et faire progressivement converger les taux du forfait social des compléments de salaire liés aux résultats de l’entreprise vers le taux de droit commun de 20 %.
- Afin de limiter les effets de cumul des exemptions de cotisations sociales et de substitution sur le long terme aux salaires de base, abaisser les plafonds d’exemption des compléments de salaire liés au partage de la valeur en entreprise en les alignant sur ceux de la prime de partage de la valeur.
Les constats de la Cour des comptes
1/ Les niches sociales des compléments de salaire : un nécessaire rapprochement du droit commun
Les compléments aux salaires de base des salariés du secteur privé relèvent de cinq catégories :
- la prise en charge par l’employeur de contrats de complémentaire santé, de prévoyance ou de retraite supplémentaire ;
- des aides directes (titres-restaurant, chèques vacances, frais de transport domicile-travail, etc.) ;
- des dispositifs de partage de la valeur créée par l’entreprise comme la participation, l’intéressement ou, plus récemment, les primes de partage de la valeur ;
- les heures supplémentaires ;
- les indemnités de rupture du contrat de travail.
Ces compléments ont pour caractéristique commune d’être exemptés de cotisations sociales, sauf les heures supplémentaires, qui sont exonérées et qui sont donc créatrices de droits à retraite. La perte de recettes subie par la Sécurité sociale pour les exemptions est en partie compensée par des taxes, dont le champ et les taux appliqués sont variables selon les compléments exemptés, ce qui rend la compréhension de ces régimes dérogatoires particulièrement complexe.
Les compléments de salaire ont été récemment renforcés pour améliorer ou protéger le pouvoir d’achat dans le contexte de la crise des gilets jaunes, de la crise sanitaire, puis de la reprise de l’inflation. Le régime social des heures supplémentaires a été allégé, des primes à l’appréciation de l’employeur ont été créées (prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, puis prime de partage de la valeur), les plafonds ont été relevés (titres-restaurant, primes de transport), et l’ANI du 29 novembre 2023 oblige désormais les entreprises profitables de dix salariés et plus à mettre en œuvre un dispositif de partage de la valeur.
Les compléments de salaire se sont en partie substitués aux salaires depuis 2018, avec une progression des versements qui a été quasiment deux fois plus rapide (+7,8 % par an contre 4,1 % par an). En conséquence, les pertes de recettes induites pour la Sécurité sociale entre 2018 et 2022 ont atteint 8,1 Md€, montant supérieur à la dégradation des déficits sociaux hors Covid (6,6 Md€).
En outre, les dispositifs de partage de la valeur sont concentrés sur les grandes entreprises et sur les salaires les plus élevés. Les entreprises de plus de 2 000 salariés versent 43 % de l’intéressement et 32 % de la participation, alors qu’elles pèsent pour 21 % de la masse salariale du secteur privé. Les 11 % de salariés qui perçoivent plus de trois fois le Smic perçoivent 18 % de la participation et de l’intéressement et 27 % des plans d’épargne entreprise. Seulement 0,3 % des salariés reçoivent des actions gratuites. La prime de partage de la valeur apparaît plus équitablement répartie par tailles d’entreprises et par niveaux de salaires, mais elle s’est largement ajoutée aux dispositifs existants : 44 % des versements ont été cumulés avec de l’intéressement et de la participation.
2/ L’indemnisation des arrêts de travail pour maladie du régime général : une dépense à maîtriser, une réglementation à simplifier
L’indemnisation des arrêts de travail pour maladie est partagée à parts égales entre la Sécurité sociale (12 Md€ en 2022) et les entreprises (11,6 Md€). Le coût pour la Sécurité sociale a augmenté de 4,3 Md€ entre 2017 et 2022, soit 56 %, dans un contexte rendu plus difficile à analyser avec la crise sanitaire. La moitié de la hausse peut être imputé à la Covid-19 et à l’allègement des contrôles et des procédures pendant la crise, dont l’arrêt des interruptions d’indemnisation au-delà de trois ans.
- À cela s’ajoutent d’autres causes : la hausse du Smic et des salaires, l’augmentation de la population active et l’extension du champ du régime général aux indépendants et aux professions libérales. Le solde inclut les effets du vieillissement de la population active et de l’augmentation de la durée des arrêts pour motif psychologique.
- Pour lutter contre la vive progression de cette dépense, la Cnam applique deux stratégies principales : la lutte contre les faux arrêts de travail et un contrôle renforcé des conditions de prescription des médecins. La généralisation des télétransmissions donnerait un coup d’arrêt aux fraudes, mais la Cnam préfère privilégier l’incitation. La Cour recommande d’y ajouter un régime de sanctions, si la télétransmission ne progresse pas au rythme attendu.
- Concernant les conditions de prescription, des réformes ont été conduites dans l’organisation du contrôle médical et dans les outils de contrôle, afin de mieux cibler les médecins « surprescripteurs ». Les pratiques des médecins peuvent être comparées aux référentiels de prescription de la Haute Autorité de santé, afin de détecter précocement les cas de surprescription et d’engager un dialogue sur leurs causes. L’objectif serait, pour le service médical de l’assurance maladie, de graduer les actions avant de déclencher les procédures lourdes de mise sous objectif ou de mise sous accord préalable.
Des leviers supplémentaires
Ces deux leviers ne sont toutefois pas suffisants selon la Cour des comptes, pour laquelle deux leviers supplémentaires doivent être actionnés pour baisser la dépense :
- Le premier serait de simplifier une réglementation devenue trop complexe avec la diversification des situations d’emploi, notamment pour le calcul des indemnités dues aux personnes en situation d’intermittence, qui cumulent plusieurs activités ou sont au chômage. La Cour a estimé les coûts de gestion à 400 M€ par an. La complexité de la réglementation est à la source de nombreuses erreurs et de retards croissants dans les liquidations.
- Le deuxième levier porte sur la répartition de la prise en charge entre l’assurance maladie, les entreprises et les salariés.
- Le rapport chiffre plusieurs mesures possibles :
- une réduction de la durée maximale d’indemnisation de trois à deux ans, associée à une meilleure prise en charge des pathologies chroniques ;
- un arrêt de l’indemnisation des arrêts de travail de moins de huit jours ;
- une augmentation du délai de carence de trois à sept jours ;
- un jour de carence d’ordre public, compensé par une baisse du taux de prise en charge par l’assurance maladie.
« L’économie attendue pour l’assurance maladie irait de 500 M€ à 1 Md€ par an selon la ou les mesures retenues », indique la Cour des comptes.
Concepts clés et définitions : #Smic ou Salaire minimum interprofessionnel de croissance, #ANI ou accord national interprofessionnel