Droits des salariés

La France vit-elle une “Grande démission” ?

Par Agnès Redon | Le | Protection sociale

Fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions atteint un niveau historiquement haut, à près de 520 000 par trimestre, dont environ 470 000 démissions de CDI.
Ces chiffres sont-ils le signe d’une “Grande démission” en France ? C’est la question que pose l’étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), publiée le 18 août 2022.

La France vit-elle une “Grande démission” ?
La France vit-elle une “Grande démission” ?

Le phénomène dit d’une « grande démission » est évoqué en France, faisant référence à une expression décrivant la situation du marché du travail américain courant 2021. En effet, suite aux premières vagues de la crise du Covid, le nombre de travailleurs quittant volontairement leur poste a nettement augmenté aux États-Unis, que ce soit pour changer de travail, chercher un autre emploi ou se retirer de la population active.

Un désir de changement

En France, un désir de changement motive ces démissions, selon une enquête de l’Unedic intitulée « L’envie de changement professionnel, dopée par la crise ? » et publiée le 17 mars 2022. Près de six sur dix déclarent avoir « en cours »ou « en tête » au moins un des quatre projets suivants :

  • Changer de métier ;
  • Changer d’employeur ;
  • Changer de secteur d’activité ;
  • Se former dans leur métier actuel.

La proportion dépasse les 75 % pour les demandeurs d’emploi. On note que plus d’un quart des demandeurs d’emploi déclarent être en train de « changer de métier », un score très supérieur à celui constaté chez les actifs en emploi (8 %).

Un niveau élevé à relativiser

Le taux de démission obtenu atteint 2,7 % en France au premier trimestre 2022, soit le taux le plus haut depuis la crise financière de 2008-2009, mais reste en deçà des niveaux qu’il avait atteint juste avant, début 2008 (2,9 %).

Compte tenu des tensions actuelles sur le marché du travail, le niveau de démissions est à relativiser. En effet, les difficultés de recrutement sont à des niveaux inégalés dans l’industrie manufacturière et les services, et au plus haut depuis 2008 dans le bâtiment. Cette situation crée des opportunités pour les salariés déjà en poste et elle est susceptible, en retour, de conduire à des démissions plus nombreuses.

De même, aux États-Unis, si le taux de démission est également important fin 2021, il n’est pas pour autant inédit. Il s’élève à 3 % au mois de décembre, son plus haut niveau depuis l’an 2000. Mais dans l’industrie manufacturière, le taux de démission est actuellement similaire à celui atteint au début des années 1950, ainsi que dans les années 1960 et 1970.

Ce qui explique en partie ces évolutions, d’après la Dares, c’est que le taux de démission est un « indicateur cyclique ». Il est bas durant les crises et il augmente en période de reprise, d’autant plus fortement que l’embellie conjoncturelle est rapide. Durant les phases d’expansion économique, de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, incitant à démissionner plus souvent.

Dans le contexte actuel, la hausse du taux de démission apparaît donc comme normale, en lien avec la reprise suite à la crise du Covid-19 et n’est pas associée à un nombre inhabituel de retraits du marché du travail. 

Par ailleurs, d’autres facteurs sont à prendre en compte :

  • Une partie de la hausse récente du taux d’emploi provient des indépendants et des alternants. En les excluant, au premier trimestre 2022, le taux d’emploi dépasse néanmoins légèrement son niveau d’avant crise ;
  • Les difficultés de recrutement sont à des niveaux inégalés dans l’industrie manufacturière et les services, et au plus haut depuis 2008 dans le bâtiment ;
  • Cette situation crée des opportunités pour les salariés déjà en poste et est susceptible, en retour, de conduire à des démissions plus nombreuses.

Un phénomène en faveur des salariés

Actuellement, le nombre de démissions est donc haut sans être inédit, ni inattendu compte tenue du contexte économique. Il reflète le dynamisme du marché du travail, et une situation dans laquelle le pouvoir de négociation se modifie en faveur des salariés

Dans un contexte de difficultés de recrutement toujours élevées, les salaires d’embauche sont susceptibles d’augmenter, en particulier pour les personnes nouvellement démissionnaires.

Autre raison de relativiser la situation, le niveau inégalé des difficultés de recrutement crée des opportunités pour les salariés en poste et donc des débauchages plus nombreux entre employeurs, comme c’est le cas aux Etats-Unis. En France, les premières analyses de la Dares, montrent que les démissionnaires sont rapidement en emploi : environ 8 démissionnaires de CDI sur 10 au second semestre 2021 l’étaient dans les six mois qui ont suivi, soit la même proportion qu’avant la crise sanitaire.

Outre cet effet potentiel sur les salaires, les enquêtes montrent que « début 2022, certaines entreprises font des concessions sur les conditions ou l’organisation du travail (télétravail) ou sur la forme des contrats d’embauche pour conserver ou attirer des salariés », souligne la Dares.

Consulter l’étude de la Dares