Cyril Chabanier (étude CFTC - ODISSEE) : « Rendre la parole aux salariés au nom du dialogue social »
Par Agnès Redon | Le | Prérogatives
Le CSE permet-il un dialogue social, économique et environnemental qui se montre efficace ? La CFTC et le réseau ODISSEE (Organisation du dialogue et de l’intelligence sociale dans la société et l’entreprise) ont présenté une étude à ce sujet le 5 juillet 2023 à l’Assemblée nationale.
Impact du passage au CSE
Sur 432 répondants à l’étude :
- Entre 37 % et 41 % des répondants de la CFTC indiquent que la mise en place du CSE dans leur entreprise a constitué « une évolution positive » sur la plupart des sujets ;
- La proportion de satisfaits est 2 fois plus positive dans les entreprises de plus de 1000 salariés, avec des scores allant de 75 à 63 % sur la plupart des sujets, y compris sur la santé et les conditions de travail ;
- La satisfaction double pour le traitement des situations individuelles des salariés, même si le score d’avis positifs reste à 38 %.
Impact sur l’efficacité des thèmes traités
Concernant la parité femmes-hommes, 44 % des adhérents de la CFTC ont constaté une évolution positive.
Cependant, pour l’ensemble des autres sujets, l’efficacité ne s’est pas améliorée, notamment sur :
- La légitimité des représentants du personnel auprès de la direction (35 %) ;
- Le développement de leurs compétences (36 %) ;
- La légitimité des instances auprès des salariés (24 %).
Sur tous les sujets, l’évolution est en moyenne près de deux fois plus positive au sein d’une grande entreprise, avec des scores passant de :
- 36 % à 69 % pour la valorisation du parcours syndical ;
- 23 % à 44 % pour le temps qu’ils consacrent à l’exercice de leur mandat.
Sur les moyens des élus
L’étude révèle que :
- 13 % des entreprises ont prévu moins d’heures de délégation ;
- 8 % ont prévu moins d’élus, mais plus d’heures de délégation ;
- 5 % ont prévu des délais de consultation plus courts.
Les problèmes sur le fonctionnement des CSE
Pour Cyril Chabanier, président confédéral de la CFTC, ce sont les ordonnances travail de 2017 qui ont dégradé les conditions d’exercice des missions syndicales.
- « Nos concitoyens et leurs représentants syndicaux veulent et doivent peser dans le débat et dans les éventuelles prochaines évolutions législatives qui impacteraient à nouveau la vie de nos instances représentatives du personnel. Pour cela, nous voulons partir des expériences concrètes du dialogue social dans les entreprises.
- Parce que les salariés que nous représentons vivent au quotidien les réalités du CSE qui traite principalement des situations concrètes de travail, ils détiennent les informations, les analyses et les solutions les plus adaptées. »
Pour Pierre Jardon, chargé du dialogue social au sein de la CFTC, la confédération syndicale n’était pas opposée au principe de décentraliser et de renforcer le dialogue social pour adapter les conditions de leur dialogue aux réalités du « terrain ». Tant que le dialogue social est vu par toutes les parties prenantes comme un vecteur de compétitivité et non comme une contrainte pour les entreprises.
Il analyse les problèmes qui pèsent sur le fonctionnement des CSE, parmi lesquels :
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La faible possibilité de négocier un CSE sur mesure
- « Pour la mise en place du CSE, la CFTC a accompagné ses équipes syndicales en entreprises pour saisir l’opportunité de co-construire une instance sur mesure répondant aux besoins de l’entreprise et des salariés ;
- Malheureusement, force est de constater que la possibilité de négocier les moyens, le périmètre et les modalités de fonctionnement du CSE, n’a pas trouvé d’écho auprès des employeurs qui ont choisi une application minimaliste des dispositions du Code du travail. »
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La centralisation des CSE au détriment des instances d’établissement
- « La centralisation des CSE et l’uniformisation des instances de dialogue social vont à l’opposé de l’objectif de la réforme de créer un CSE à la carte ;
- Cela s’est donc traduit par un net recul de la proximité entre les élus et les salariés, avec la perte, pour bon nombre d’entre eux, d’une instance de représentation dans leurs établissements. »
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La perte de proximité
« Les grands CSE centraux auxquels revient le rôle de redéfinir la stratégie globale de l’entreprise, sont exposés au risque d’une sursollicitation par des dossiers qui auraient dû être abordés au niveau de l’établissement, notamment sur toutes les questions relatives aux conditions de travail. »
Du point de vue de Pierre Jardon, cela se traduit par :
- des réunions du CSE avec des ordres du jour pléthorique ;
- une moins bonne prise en charge des questions de santé au travail.
« Là où on avait des CHSCT dans les établissements de 50 salariés, maintenant c’est le seuil de 300 salariés qui est retenu comme obligation dans la loi. Or peu d’entreprises ont mis en place des CSST dans les entreprises de moins de 300 salariés. »
Pierre Jardon regrette le manque de volonté des entreprises de mettre en place les représentants de proximité, une solution pour conserver un ancrage terrain.
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Une baisse des moyens mis à disposition des élus
« Le manque de moyens (moins d’heures et d’élus) pour assurer l’ensemble des missions est une des difficultés la plus remontée par les élus, alors que le CSE ne cesse de voir le nombre de ses missions augmentées, comme la nouvelle compétence environnementale du CSE par exemple. les élus doivent se montrer multi-compétents et multi-casquettes…en étant moins nombreux », souligne Pierre Jardon.
De son point de vue, la question de la non présence des suppléants aux réunions du comité pose également un problème dans le bon fonctionnement du CSE.
- « Les salariés qui prennent pour la première fois un mandat, demandent souvent à commencer par un poste de suppléant.
- Le fait qu’ils ne puissent pas assister aux réunions est un frein à leur appropriation de toutes les missions du mandat.
- Cela pose en parallèle aussi un vrai problème d’activité pour les élus titulaires qui doivent préparer les réunions et assurer les actions et suivi de ces réunions (rédaction des procès-verbaux, des communiqués pour les salariés).
- Cela cantonne les suppléants à un rôle accès vers les activités sociales et culturelles et les privent d’un rôle actif dans les réunions obligatoires du CSE.
»L’attractivité des mandats de représentation du personnel pose problème. La règle des 3 mandats successifs maximum additionnés à la diminution des élus, l’impossibilité de générer des vocations par le biais du mandat de suppléant vidé de sens, seront un vrai challenge pour le cycle d’électoral d’après. Car on aura atteint pour certains les 3 mandats successifs.«
La nécessité de rénover le droit d’expression des salariés
Pour l’amélioration du dialogue social, Cyril Chabanier souligne que la CFTC milite pour :
- Une rénovation du droit d’expression directe et collective des salariés dans le sens d’une effectivité et d’une utilité à tous les acteurs de l’entreprise (salariés, organisations syndicales, employeurs).
»Il est pour nous nécessaire qu’un accord d’entreprise soit conclu afin de traiter ce thème de façon autonome.«
- La création d’une obligation de négociation sur la mise en place d’un temps d’échange préalable à la fixation de l’agenda social de l’entreprise avec les salariés.
Il faut ainsi faire évoluer ce droit d’expression mais dans un cadre d’abord légal. Le CSE peut, doit être demain le lieu, l’acteur de ce droit renouvelé.
Au-delà de l’agenda social de l’entreprise, cet accord pourrait prévoir la mise en place d’espaces de dialogue pérennes auquel chaque salarié peut librement participer à l’image de cafés débats participatifs.
- »Sur des sujets tels que la transition écologique, la RSE, les conditions de travail, ces espaces de dialogue permettraient la généralisation et le déploiement de ce droit d’expression direct. Cet accord devrait explorer les questions de méthode, de moyens et de compétences à acquérir pour que les élus du personnel soient en capacité d’animer ce nouvel espace.
- La méthode retenue, qui peut varier selon les spécificités propres à chaque entreprise, devra veiller à ce que cette parole rendue aux salariés trouve son débouché dans les décisions qui seront prises.«
- Si aucune évolution, aucune réponse n’est apportée à cette demande des travailleurs de participer à l’élaboration des grands choix de l’entreprise, la CFTC craint une dérive qui est déjà à l’œuvre avec la multiplication des “collectifs” de salariés auto-organisés en dehors des syndicats. À l’image du mouvement des gilets jaunes ou du conflit des contrôleurs de la SNCF fin 2022, ces “collectifs” de salariés exigent et obtiennent parfois un dialogue direct avec leur direction.
- Notre conviction est que ni les travailleurs, ni leurs représentants syndicaux et/ou élus, ni les directions d’entreprises n’ont intérêt sur le long terme à voir se développer cette pratique. »