Dialogue social : l’état des lieux du paritarisme actuel (Débat Groupe Alpha)
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Le débat, organisé le 15 juin 2023 par Groupe Alpha, a permis de faire le point sur le thème : « Le paritarisme dans ses différentes dimensions dans l’entreprise et en-dehors ».
Pierre Ferracci (Groupe Alpha) : « le paritarisme bien malade »
Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, constate que, depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le paritarisme est mis à mal dans les structures paritaires nationales.
« On l’a vu dans l’assurance chômage, la formation professionnelle et dans le logement. Le corps des partenaires sociaux est déstabilisé, même si, du côté du patronat, on ne se montre pas vraiment inquiet. »
- « J’observe un paradoxe entre ce qu’il se passe dans l’entreprise où le dialogue social est plutôt vivant, même si les ordonnances de 2017 l’ont plutôt esquinté, et le paritarisme de gestion.
- Les partenaires sociaux tentent de s’exonérer de la mainmise de l’État qui est assez forte depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Ils l’ont fait en s’accordant sur un agenda social autonome, géré de manière intelligente. Cela a donné lieu à quelques accords, signés ou non par les organisations syndicales.
- En même temps, le paritarisme de gestion est bien malade, ce qui ne signifie pas mal géré. En tout cas, l’intervention de l’Etat perturbe les partenaires sociaux. »
La réforme des retraites a soulevé « quelques sujets très lourds », selon Pierre Ferracci. Parmi lesquels :
- « La question du travail ;
- La réindustrialisation du pays ;
- Le coût du travail et la question des exonération de charges sociales ;
- La conditionnalité des aides publiques demandée par tous les syndicats, ce qui fait frémir le patronat ;
- Les enjeux relatifs à la transition écologique. »
Frédéric Souillot (Force Ouvrière) : « L’État n’a pas le même tempo que les partenaires sociaux »
L’état des lieux du paritarisme
« Nous voulons tous faire vivre le paritarisme qui crée de la cohésion sociale dans notre République », déclare Frédéric Souillot, secrétaire général de FO.
« Ce sont les employeurs et les salariés qui gèrent les retraites complémentaires, Action Logement et l’Unédic. Nous avons également géré pendant longtemps la sécurité sociale. Et à chaque fois, l’État qui n’a pas le même tempo que les partenaires sociaux intervient. »
« Je prends l’exemple la volonté de l’État en 2022 de mettre la main sur les réserves de l’Agirc-Arrco. Parfois, quand les organismes paritaires sont un peu excédentaires, on vient nous expliquer que cela aiderait à rembourser la dette publique », explique Frédéric Souillot.
Conditionnalité des aides publiques accordées aux entreprises
- « Les organisations syndicales parlent aujourd’hui de conditionnalité des aides publiques accordées aux entreprises ;
- En effet, ces aides ne les empêchent pas de licencier. Je le rappelle : ce qu’on appelle “charges” est en réalité des cotisations sociales et du salaire différé. Avant, on parlait d’allègement des cotisations pour rééquilibrer la balance du commerce extérieur.
- Apparemment, cela n’a jamais marché. Il faut réévaluer et surtout réindustrialiser. Car, derrière les industries, il y a l’emploi. Or, depuis la mise en place du quinquennat, les politiques sont en élection permanente. Ils voudraient que les partenaires sociaux avancent à leur rythme et s’alignent sur leurs souhaits », explique Frédéric Souillot.
Appel au « respect de la négociation collective »
- « Après le second tour de l’élection législative [juin 2022], FO a demandé le respect de la négociation collective, à savoir le respect de l’article L1 du Code du travail. »
- « Le premier sujet que le Gouvernement a proposé était l’ANI sur le partage de la valeur. Nous demandons quasiment à chaque fois qu’il soit strictement transposé dans la loi. En effet, on tient à ce que la loi respecte l’équilibre de l’accord.
- Nous attendons également la transposition intégrale de l’ANI AT-MP. Dans cet accord, nous avons ouvert des pistes dont nous discuterons lors de notre prochaine réunion dans le cadre de l’agenda autonome, le 28 juin 2023.
- Si nous avons choisi l’adjectif “autonome”, c’est pour dire au Gouvernement que ce sont les partenaires sociaux qui discutent de ce qu’ils veulent, au moment où ils le souhaitent, et quand ils trouvent des accords, ceux-ci doivent être transposés dans la loi », explique Frédéric Souillot.
Julien Damon (Science Po) : « Rebattre les cartes du paritarisme est crucial »
Prise de recul via l’histoire
« Le paritarisme est à la fois un mode de fonctionnement et un totem à la française. Il y a le paritarisme de négociation qui relève du droit du travail. Depuis la nouvelle rédaction de l’article L1 du Code du travail, la doctrine considère que les partenaires sociaux ont été érigés en co-législateurs voire en pré-législateurs dans un cadre très contraint », analyse Julien Damon, sociologue, professeur associé à Sciences Po, conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S).
« On a l’impression que le paritarisme est le mode de gestion de la Sécurité sociale. Or ce n’est pas vrai. »
- « En 1945, c’est un système dit de démocratie sociale qui a été mis en place avec des élections pour élire des représentants salariés. Cette année-là, il n’y avait pas de paritarisme, c’était des organisations syndicales qui étaient élues à la tête des conseils d’administration des organismes de Sécurité sociale.
- La première occurrence de “paritarisme” apparaît dans le quotidien Le Monde, avec les ordonnances Jeanneney qualifiées au départ par les syndicats de “scélérates”. Au départ, les syndicats n’en voulaient pas. Cela revenait à mettre à parité les représentants des employeurs et des syndicats.
- En 1947, le régime Agirc qui s’est mis en place était parfaitement paritaire.
- En 1958, le Général de Gaulle a demandé aux partenaires sociaux de se débrouiller pour mettre en place un régime d’assurance chômage. L’Unédic a été créée mais on ne parlait pas alors de paritarisme.
- De nos jours, le paritarisme est totémisé car il est devenu synonyme de démocratie sociale et de dialogue social. »
- « C’est un système professionnel qui s’est universalisé. En effet, on ne couvre plus seulement ceux qui ont cotisé mais tout le monde.
- Rebattre les cartes du paritarisme et de la place accordée aux partenaires sociaux dans le paritarisme dit de gestion est crucial.
- On a un paritarisme d’apparat dans certains pans de la protection sociale et un paritarisme de plein exercice dans d’autres. »
Un paritarisme de gestion peu révisé
Selon Julien Damon, « c’est un mythe de parler du paritarisme à la française parce que cela a toujours été du tripartisme avec :
- Les syndicats ;
- Le patronat ;
- L’État.
Dans le domaine de la formation professionnelle, on parle d’un système quadripartite :
- L’État ;
- Les régions ;
- Les syndicats ;
- Les organisations d’employeurs.
Le paritarisme de négociation a une vitalité extraordinaire alors que le paritarisme de gestion est peu révisé. »