Dialogue social

« La pédagogie, constitutive de la maturité du dialogue social » (Pierre de Villeneuve, Deloitte)

Par Agnès Redon | Le | Accords d’entreprise

« Les représentants du personnel peuvent aider la direction à comprendre les enjeux du corps social et les attentes des salariés, à condition qu’elle soit à l’écoute. Pour prendre conscience de l’importance de cette maturité dans le dialogue social, il faut reconnaître la trajectoire de carrière des élus et leur formation. Pour ce faire, il faut revoir les moyens des élus et identifier les personnes de qualité », déclare Pierre de Villeneuve, associé capital humain chez Deloitte au sujet de la place du dialogue social dans des entreprises en transformation, notamment lors de PSE.

Pierre de Villeneuve, associé capital humain chez Deloitte - © D.R.
Pierre de Villeneuve, associé capital humain chez Deloitte - © D.R.

Selon une enquête 2023 sur les réorganisations d’entreprises de l’ANDRH, 42 % des grandes entreprises ont initié des projets de réorganisation et de transformation, impactant directement les salariés. Quelles sont ces réorganisations ?

De nos jours, le dialogue social devient de plus en plus proche du corps social

Toutes les entreprises sont par définition en transformation. L’accélération de cette transformation est due à la technologie et aux réflexions sur les systèmes d’information, mais aussi aux changements des fonctions support, qui ne sont plus le fait d’un seul pays mais d’une zone géographique plus large. Tout cela renforce ce flux constant de réorganisation interne. En dehors de cela, il y a les transformations classiques stratégiques liées aux réorganisations.

Le dialogue social a souvent été considéré comme une mise en relation entre experts, avec d’un côté les organisations syndicales et de l’autre la direction des relations sociales. De nos jours, le dialogue social devient de plus en plus proche du corps social, à savoir les salariés, la société elle-même et des groupes d’intérêt qui peuvent se former à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise.

Selon vous, comment peut-on améliorer le dialogue social ?

Il faut redoubler d’effort pour intégrer ces salariés au dialogue social

Nous devons moderniser la façon de voir le dialogue social avec une intégration plus importante du salarié. Lors d’un PSE, le Code du travail pousse les entreprises à se focaliser sur les salariés qui vont perdre leur emploi.

Cependant, les entreprises ont tendance à oublier ceux qui restent et qui porteront le business model de demain. Ceux-là peuvent aussi craindre de perdre leur emploi. Il y a une vingtaine d’années, on ne s’intéressait pas du tout à ceux qui partaient lors d’un PSE ni de la santé, de la sécurité et des conditions du travail. Mais aujourd’hui, il faut redoubler d’effort pour intégrer ces salariés au dialogue social.

Comment intègre-t-on davantage les salariés au dialogue social ?

Le salarié a le droit de savoir le plus vite possible si son poste est en danger

Pendant longtemps, quand un PSE était lancé, les entreprises ne jugeaient pas utile de communiquer aux salariés. Elles ouvraient l’information-consultation, parlaient aux représentants du personnel qui informaient les salariés.

De plus en plus de nos clients communiquent le plut tôt possible, afin que :

  • La ligne managériale ne soit pas débordée ;
  • Les RH en interne qui portent les projets de manière plus technique ne soient pas mis au courant trop tardivement ;
  • Les salariés puissent appréhender au mieux les enjeux sous-jacents.

Il faut présenter aux salariés ce qui est proposé en négociation au sujet des mesures d’accompagnement. Quand la direction accepte de communiquer, cela signifie que la première copie d’entrée en négociation ne peut pas être ridicule ou inaudible pour les salariés. En effet, le salarié a le droit de savoir le plus vite possible si son poste est en danger.

Comment le dialogue social peut-il être renforcé avec les représentants du personnel ?

On ne prend pas le temps d’expliquer la logique économique aux représentants du personnel

Un effort de pédagogie doit également être fait vis-à-vis des représentants du personnel. Le Livre II, qui est la note de justification fondant le recours aux licenciements économiques, est souvent conçu de manière juridique ou financière et est trop technique. On ne prend pas le temps d’expliquer la logique économique aux représentants du personnel. Or, cet effort de pédagogie est constitutif de la maturité du dialogue social.

Par ailleurs, lorsque la direction annonce un plan de réorganisation avec au moins dix suppressions de postes, elle doit présenter au CSE les conséquences sur la santé, la sécurité ou les effets potentiels du projet sur les conditions de travail, au titre du Livre IV du Code du travail. En effet, le report de la charge de travail complémentaire sur les salariés qui restent en emploi doit être étudié et communiqué par ce Livre IV.

En quoi un dialogue social de qualité sera-t-il un atout pour attirer les talents et les retenir ?

il faut reconnaître la trajectoire de carrière des élus et leur formation

Face à la raréfaction des talents et de la difficulté à les retenir, en particulier les nouvelles générations qui se posent des questions sur le sens au travail et qui apprécient l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée procuré par le télétravail, certaines entreprises ont du mal à s’adapter aux demandes contemporaines.

D’où l’importance cruciale d’un dialogue social de qualité. Les représentants du personnel peuvent aider la direction à comprendre les enjeux du corps social et les attentes des salariés, à condition qu’elle soit à l’écoute. Pour prendre conscience de l’importance de cette maturité dans le dialogue social, il faut reconnaître la trajectoire de carrière des élus et leur formation. Pour ce faire, il faut revoir les moyens des élus et identifier les personnes de qualité.