Frédéric Ruiz, CFE-CGC RATP « le syndicalisme doit se battre contre la course à la productivité »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Président de la fédération transports de la CFE-CGC à la RATP depuis 2013, Frédéric Ruiz déplore une dégradation du dialogue social depuis la présidence d’Emmanuel Macron et les transformations organisationnelles qui s’opèrent à la RATP.
Pour la rédaction de CSE Matin, il revient sur son parcours syndical, sur la manière de défendre au mieux les intérêts des salariés ainsi que sur les chantiers actuels de la négociation.
Comment en êtes-vous venu au syndicalisme ?
J’ai toujours été sensible aux injustices et à la défense des intérêts collectifs
J’ai démarré assez tardivement à l’âge de 45 ans. Je pense avoir eu quelques prédispositions à l’engagement syndical car j’ai toujours été sensible aux injustices et à la défense des intérêts collectifs.
Je suis rentré à la RATP en tant qu’agent de maîtrise dans un centre de dépôt d’autobus en 1983. Je m’occupais notamment de la commande de service du personnel, du suivi de sa réalisation et de la comptabilisation des recettes.
Après 3 années à ce poste, j’ai été appelé à un projet d’informatisation de ces tâches, puis à la direction du personnel pour être chargé de mission sur les rémunérations.
J’ai repris mes études à l’ESSEC pour être reclassé cadre à 34 ans. J’ai poursuivi ma carrière au contrôle de gestion puis aux achats et je suis devenu l’expert achats et le responsable du secrétariat de la commission des marchés de la RATP. Mon poste était très intéressant mais l’évolution de carrière devenait difficile.
Au cours de ma carrière, j’ai rencontré Alain Ternois, qui allait devenir président de la CFE-CGC de la RATP. Il m’a proposé de rejoindre la CFE-CGC, ce que j’ai accepté.
Quels ont été vos différents mandats ?
- J’ai commencé par un mandat de représentant syndical dans le comité d’établissement des services centraux puis au comité central d’entreprise ;
- En 2009, j’ai été recruté en tant que permanent au sein de l’organisation syndicale au poste de vice-président. L’objectif était de succéder à Alain Ternois, dont le souhait était de devenir administrateur salarié à la RATP ;
- Au 1er janvier 2013, j’ai été élu président CFE-CGC de la RATP mais aussi délégué central ;
- En 2019, j’ai été élu président de la fédération transports de la CFE-CGC. Cela m’a permis de siéger au comité confédéral directeur et de m’intéresser plus spécifiquement aux problèmes confédéraux.
En devenant président CFE-CGC à la RATP, quels ont été vos premiers chantiers ?
Il s’agissait de s’inscrire dans la continuité de mon prédécesseur qui a œuvré au développement du syndicat en l’ouvrant plus largement aux agents de maîtrise. En effet, à l’origine, la CGC RATP créée en 1973 était surtout un syndicat de cadres supérieurs et dirigeants. A partir de 2008, avec la loi sur la représentativité syndicale, la CGC perdait sa représentativité de fait dans les entreprises et devait dès lors recueillir au moins 10 % des suffrages dans les collèges d’encadrement lors des élections professionnelles.
Pour ma part, j’ai largement ouvert le syndicat aux femmes, qui étaient jusque-là moins investies dans les syndicats que les hommes. Grâce à nos efforts, nous n’avons eu aucun problème pour nous adapter à la loi sur la parité [ndlr : la loi du 17 août 2015 impose la représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les institutions représentatives du personnel, en application de l’article L2314-30 du Code du travail].
D’élection en élection, notre représentativité s’est accrue.
Quelles sont les revendications actuelles de votre syndicat à la RATP ?
Avec la transformation de la RATP, les risques psychosociaux sont majeurs
Il y a une grosse transformation organisationnelle de la RATP et le réseau des autobus sera ouvert à la concurrence au 1er janvier 2025. La RATP se rapproche du modèle de l’entreprise privée, avec une holding de tête et des filiales variées. Ainsi, le réseau des autobus ne pourra être exploité que sous forme de filiales, soit par la RATP, soit par d’autres groupes. Cette concurrence crée une course à la productivité, ce qui bouleverse le travail des encadrants et des salariés en général.
Cette course à la productivité se concrétise par :
- Le passage au flex office pour les fonctions tertiaires ;
- Des modifications d’outil à travers le développement de la digitalisation ;
- Une nouvelle organisation à base de filiales, d’unités d’affaires, de centres de services partagés ou de centres d’expertise.
Tout cela désintègre la force de la RATP, entreprise multimodale intégrée, dans laquelle on trouvait tous les métiers d’exploitation, de maintenance, d’ingénierie et toutes les fonctions support. Cet éclatement remet en cause la culture profonde de l’entreprise. Dans ce contexte, les risques psychosociaux sont majeurs.
Par ailleurs, pour réduire les coûts, la direction a dénoncé l’accord de rémunération et de déroulement de carrière de l’encadrement et des éléments statutaires, à savoir l’avancement à l’ancienneté. C’est une des garanties que l’on retrouve dans la fonction publique.
Ainsi, nos deux visions sont radicalement opposées : notre priorité, c’est l’humain et le service public mais du côté de la direction et de l’Etat, c’est la concurrence et la réduction des coûts, estimant par exemple qu’une majorité d’encadrants sont payés au-delà du prix du marché. Cela commence a avoir des conséquences sur l’attractivité de la RATP avec des collègues découragés sur le départ.
Comment menez-vous vos négociations ?
L’Etat et l’entreprise passent leurs projets en force et les mouvements de grève portent beaucoup moins qu’auparavant
En France, les négociations sont hélas trop souvent basées sur des rapports de force. Or depuis la présidence d’Emmanuel Macron, ce rapport de force n’est pas favorable aux salariés. Toute la difficulté est de trouver les leviers pour faire entendre nos voix.
Il y a encore quelques années, nous parvenions à faire aboutir nos négociations par le compromis avec des contreparties. La RATP a fondé une part de son image sur la qualité du dialogue social, notamment avec Josette Théophile, la DRH de 1995 à 2009, qui a beaucoup œuvré en ce sens. Il y avait alors peu de conflits sociaux et le taux d’absentéisme maladie était le plus faible de la profession.
C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui dans un contexte où l’Etat et l’entreprise passent leurs projets en force, et où les mouvements de grève portent beaucoup moins qu’auparavant. Par exemple, sur l’accord de déroulement de carrière de l’encadrement, nous craignons que la direction prenne des décisions unilatérales. La direction voudrait des organisations syndicales qui accompagnent le changement, mais pour cela, il nous faudrait être convaincus que le changement va dans le bon sens de l’intérêt général, ce qui n’est pas le cas, si on en juge par ce qu’il se passe autour de nous.
Pour lutter contre une forme de manipulation due à une communication « marketing » de la direction, nous essayons de découvrir les véritables objectifs de la direction, être clairs sur nos propres objectifs et identifier les marges de manœuvre dont on dispose pour informer et défendre au mieux les salariés.
Aujourd’hui, le seul levier réellement efficace, c’est l’image de l’entreprise. Mais il est à double tranchant.
Quels sont les moments les plus marquants de votre parcours ?
Ce sont les moments où l’on se sent utile : quand on signe un accord favorable aux salariés ou quand on évite un licenciement abusif, par exemple.
Comment percevez-vous l’évolution des IRP après les ordonnances de 2017 ?
Les instances actuelles ont perdu en efficacité dans la défense des intérêts des salariés
Les ordonnances ont profondément transformé les IRP. Nous n’avons plus que des comités d’établissement qui font tout le travail des anciennes instances, comme le CHSCT qui était pourvu d’une véritable expertise. Nous avons perdu les interlocuteurs de proximité qu’étaient les délégués du personnel. Les élus actuels se retrouvent alors débordés, ils sont éloignés du terrain et n’ont pas forcément toute l’expertise requise pour exercer leur mandat dans toutes ses dimensions.
En conclusion, les instances actuelles ont perdu en efficacité dans la défense des intérêts des salariés, en particulier dans les grandes entreprises. Dans le même temps, des transformations profondes s’opèrent dans les entreprises en raison de la crise sanitaire et cela morcelle encore davantage les collectifs.
Comment se sont passées vos élections au début du mois de décembre 2021 ?
Au lieu d’une gestion commune que nous appelions de nos vœux, des luttes syndicales pour la gestion du CSE central ne l’ont pas permis
La RATP a connu une forme de bouleversement syndical. Déjà, les élections de 2018 avaient déjà été atypiques avec 3 organisations syndicales représentatives recueillant 70 % des voix. Nous avions eu alors plus de 10 %, tous collèges confondus.
Aux dernières élections, il y a eu un regroupement des différents syndicats sous la bannière FO qui avait perdu sa représentativité. Par conséquent, FO est arrivé en deuxième, après la CGT. Du côté de la CFE-CGC, nous sommes retombés mécaniquement à 7,8 % des voix exprimées sur l’ensemble des collèges.
Au lieu d’une gestion commune que nous appelions de nos vœux, des luttes syndicales pour la gestion du CSE central ne l’ont pas permis. C’est idiot. La CGT devenant première, ses représentants ont voulu prendre tous les pouvoirs, tout en négligeant la CFE-CGC. C’est une première depuis les années 80 et cela me semble étrange dans un contexte de transformation de la RATP.