Dialogue social

Félix Evain (Groupe Alpha) : « Une transition écologique juste passe par l’implication des IRP »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

La réussite d’une transition juste dépend de l’implication des partenaires sociaux et de la capacité à sécuriser les parcours professionnels de l’ensemble des travailleurs. C’est notamment l’analyse de Félix Evain, chargé d’études au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha.

Félix Evain, chargé d’études au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha - © D.R.
Félix Evain, chargé d’études au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha - © D.R.

Pour la mise en œuvre de la transition écologique, en quoi l’inclusion des partenaires sociaux est-elle une condition indispensable selon vous ?

Les partenaires sociaux peuvent s’appuyer sur les expériences historiques.

Les représentants du personnel sont la voix des salariés. En situation de crise, lorsqu’il faut négocier des dispositifs sociaux pour amortir les chocs et sécuriser au mieux les transitions professionnelles, le rôle des représentants des salariés est donc essentiel. On a pu l’observer lors des différents mouvements de désindustrialisation du pays, durant lesquels les partenaires sociaux ont été indispensables. 

Même si la transition écologique se distingue par son urgence et sa complexité, les partenaires sociaux peuvent ainsi s’appuyer sur les expériences historiques et les dispositifs existants pour anticiper et accompagner ces transformations socio-économiques.

Quels sont les leviers dont disposent les CSE pour investir le domaine de la transition écologique ? 

La question environnementale risque d’être diluée dans les trois temps de l’information consultation.

Le CSE a la possibilité d’engager un dialogue social avec la direction, notamment dans le cadre des trois grandes consultations récurrentes, qui portent désormais sur des éléments d’ordre environnemental nécessaires à la compréhension des orientations stratégiques de l’entreprise, d’après l’article L2315-87-1 du Code du travail. La loi Climat et résilience du 22 août 2021 modifie les attributions consultatives du CSE. Il s’agit d’assurer la prise en compte des intérêts des salariés dans les décisions de l’entreprise « notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions ». 

Ces leviers sont à la fois une bonne nouvelle et un risque :

  • Une bonne nouvelle dans le sens où cela oblige à connecter l’environnement, le social et l’économique dans chaque temps d’information-consultation des CSE.
  • C’est aussi un risque que cette question environnementale soit diluée dans les trois temps de l’information consultation. En effet, pour le moment, l’environnement n’est pas considéré comme un enjeu déterminant pour le CSE, au contraire des questions portant sur la rémunération, par exemple. 

Comment les CSE peuvent-ils pleinement s’approprier les enjeux écologiques ?

Une des voies d’amélioration est un renforcement de la présence d’administrateurs salariés au conseil d’administration.

La question de l’environnement reste encore à ce jour un sujet minoritaire en CSE. L’accélération de la transition écologique des entreprises exige de renforcer le dialogue social sur ces questions et de les axer davantage sur les orientations stratégiques, sur la nature et la vitesse des changements structurels à réaliser pour y parvenir ainsi que sur leurs conséquences en matière de conditions de travail. 

Une des voies d’amélioration du dialogue sur la stratégie pourrait passer par un renforcement de la présence d’administrateurs salariés au conseil d’administration. Comme il s’agit de l’instance qui définit la stratégie de l’entreprise, le fait d’y renforcer la présence de représentants des salariés leur permettrait d’être au bon endroit pour discuter de ces sujets. A défaut, il faut que les CSE soient davantage sollicités, avant que les décisions ne soient prises, et qu’ils ne soient plus cantonnés à émettre un avis une fois les décisions prises.

Les moyens des représentants des salariés dans l’entreprise doivent également être renforcés de même que leur formation car les enjeux de la transition écologique et ses effets économiques et sociaux sont complexes.

La question des transitions professionnelles exige-t-elle des actions de formation renforcées ?

L’effort de formation dépendra des métiers et des secteurs.

Il s’agit, d’abord, d’identifier les métiers et les secteurs dont l’activité sera amenée à se réduire fortement ou à se transformer en profondeur pour se décarboner et, ensuite, de proposer les formations. 

D’une manière générale, les transitions professionnelles exigent des formations renforcées, particulièrement pour les salariés les moins qualifiés. En outre, l’effort de formation dépendra des métiers et des secteurs et ne sera donc pas le même pour tous les salariés. La négociation d’entreprise sur cette thématique reste très faible par rapport aux négociations de branche malgré un potentiel d’action important des entreprises en la matière, notamment des grandes.

Quelles sont les conditions pour parvenir à une transition juste ? 

Il faut une mobilisation importante de financements publics.

J’en vois au moins trois. Il faut :

  • Des élus locaux, notamment régionaux, associés et capables d’orienter les évolutions des bassins d’emplois affectés par la transition écologique. 
  • Des entreprises et des représentants des salariés volontaires pour inclure, dans les dispositifs sociaux négociés, l’ensemble des travailleurs. Je pense notamment aux emplois précaires et/ou peu qualifiés ainsi que les sous-traitants, qui sont trop souvent une simple variable d’ajustement.
  • Surtout, une anticipation forte au niveau des entreprises et des branches professionnelles qui nécessite de s’appuyer sur des scénarios prospectifs pour comprendre les futurs possibles et leurs impacts sur l’emploi.
  • Il faut également une mobilisation importante de financements publics. Par exemple, pour la fermeture des dernières centrales à charbon en France, l’Etat a débloqué un fonds de 30,2 millions d’euros sur la période 2021-2025 pour reclasser 190 emplois directs, 720 emplois indirects ainsi que 40 millions d’euros pour revitaliser les territoires touchés.