Raphaëlle Bertholon (CFE-CGC) : « L’intérêt des salariés, c’est aussi l’intérêt des entreprises »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Pour Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale CFE-CGC, la gestion court-termiste des entreprises bride leur capacité à innover et donc à se développer. Elle regrette que, poussées par une financiarisation accrue, les entreprises n’investissent pas suffisamment et ne valorisent plus les compétences des salariés.
Elle revient sur son parcours syndical à la CFE-CGC, les origines de son engagement, sur les sujets qu’elle porte et sur l’importance d’une gouvernance équilibrée dans les entreprises.
Quel est votre parcours ?
J’ai adhéré à la CFE-CGC en 1999, lorsque j’étais directrice d’études financières.
En 2000, je suis candidate au poste de représentante des salariés au Comité d’Orientation et de Surveillance de la Caisse d’Epargne Rhône Alpes. Je ne suis pas élue mais j’obtiens le meilleur score SNE-CGC de toutes les Caisses d’Epargne avec 33 %.
J’ai été nommé déléguée syndicale centrale de la Caisse d’Epargne des Alpes, élue au CE et déléguée du personnel en 2002, élue représentante du CE au Comité d’Orientation et de Surveillance, présidente des commissions Economique et Culture/Loisirs.
J’ai rapidement rejoint le bureau national de mon syndicat le SNE-CGC en 2003, participant aux négociations de branche et à l’animation de la commission économique du syndicat, intégrant le comité de groupe en 2005, puis le conseil de discipline national en 2007 et nommée administrateur de la caisse des retraites et de la prévoyance en 2008.
En 2011, je suis désignée par la CFE-CGC, pour mon premier mandat confédéral, comme représentante des salariés au comité consultatif du secteur financier (CCSF)
En 2013, j’ai intégré le Comité Directeur de la Fédération CFE-CGC des métiers de la Finance et de Banque, ainsi que le comité confédéral CFE-CGC, instance qui réunit l’exécutif confédéral avec toutes les fédérations CFE-CGC deux fois par an.
En 2015, je suis élue administrateur au conseil d’orientation et de surveillance, après avoir été représentante du CE depuis 2002.
En 2016, je suis élue au poste de déléguée nationale de la CFE-CGC au congrès de Lyon.
Depuis 2019, élue au congrès de Deauville, je suis secrétaire nationale en charge de l’économie, l’industrie, le numérique et le logement.
Comment est née votre fibre syndicale ?
J’ai ressenti le besoin d’évoluer vers une activité où le contact avec les salariés était prédominant. Nouer ce lien m’a donné envie de m’engager
Dans le cadre de mon travail très en lien avec la stratégie financière de l’entreprise et laissant peu de places aux relations humaines, j’ai ressenti le besoin d’évoluer vers une activité où le contact avec les salariés était prédominant. Nouer ce lien m’a donné envie de m’engager, car je suis particulièrement attachée au collectif.
Par ailleurs, mon père, qui était médecin était lui-même engagé. Mon enfance a donc baigné dans l’univers syndical et les réunions qui avaient parfois lieu à la maison.
Pourquoi avez-vous choisi la CFE-CGC ?
Tout d’abord, j’ai toujours été cadre et cela me paraissait naturel de rejoindre un syndicat de l’encadrement.
Ensuite, comme c’est souvent le cas, c’est une question de personne, et les rôles du DSC de ma section, comme du Président du syndicat de l’époque, ont été décisifs. J’ai eu envie de les suivre.
Quel est le moment marquant de votre parcours ?
Ma première grève en 2006 fut un autre événement marquant de mon parcours
Lorsque je siégeais au conseil de discipline national, j’ai eu à « juger » un salarié protagoniste d’une affaire qui, par certains aspects était un peu similaire à l’affaire Jérôme Kerviel de 2008 (NDLR : un trader condamné à trois ans de prison ferme pour avoir fait perdre 4,9 milliards à la Société générale). Si cette affaire a généré une perte financière dans une ampleur nettement moindre que celle de Jérôme Kerviel, c’est un dossier qui m’a beaucoup marqué.
Un soir, lorsque je suis rentrée chez moi, un colis m’attendait : c’était tout le dossier d’instruction, si épais qu’il ne rentrait pas dans la boite aux lettres. Comme toute personne travaillant dans une direction financière de banque, nous étions soumis à un contrôle très strict, et avec mes collègues nous nous demandions comment cette affaire avait pu se produire. A la lecture du dossier, c’est l’enchainement des responsabilités et le concours de circonstances de différents faits qui démontrent que ce que l’on pense impossible peut finir par se produire.
Ma première grève en 2006 fut un autre événement marquant de mon parcours. Malgré les « pressions » exercées en pareil cas, un tiers du personnel était en grève. Parmi les revendications exprimées en assemblée générale, j’ai porté la revendication de nos adhérents : une meilleure revalorisation des promotions, en demandant d’instituer une revalorisation minimum de 5 % du salaire minimum de la classification. Nous l’avons obtenue et cette règle est toujours en vigueur dans l’entreprise. Le fruit de cette grève fût pour moi une réussite.
Quels sont vos sujets actuels de revendication ?
A la CFE-CGC, nous combattons la gestion par les coûts conduite par de plus en plus d’entreprises, qui est une vision court-termiste
Le premier sujet concerne le partage de la valeur, avec la mise en place d’un pacte de progression salariale. L’entreprise est un collectif de femmes et d’hommes auxquels l’entreprise doit donner des perspectives. Cette absence fréquente de possibilités de se projeter est à mon sens une des explications aux difficultés actuelles de recrutement. Chez les cadres, les négociations individuelles sont favorisées au détriment des négociations collectives. Or avec le regain d’inflation, la revalorisation individuelle perd inévitablement son sens, qui est de reconnaître l’investissement du salarié. Cela amplifie le phénomène observé de sentiment de déclassement.
Le deuxième sujet concerne la gouvernance de l’entreprise avec notre proposition de représentation à hauteur d’un tiers de représentants des salariés et un sixième de représentants des salariés actionnaires, ce qui équivaut à la moitié. Une gouvernance non équilibrée engendre une déformation du partage de la valeur. Il est prouvé que lorsque les salariés siègent au conseil par l’étude de Cécile Cézanne et de Xavier Hollandts, les dividendes accordés aux entreprises et les rachats d’actions sont plus modérés et le partage de la valeur est plus équilibré.
Cette analyse est importante, car lorsque nous regardons les chiffres de la Banque de France et que nous considérons les dividendes en brut, c’est-à-dire sans retirer ce que l’entreprise reçoit comme dividende de ses filiales ou participations, avec l’ensemble de l’activité des groupes internationaux, nous constatons qu’une déformation s’est opérée au profit des actionnaires, au détriment de tous les autres bénéficiaires, qui sont :
- Les salariés bien entendu ;
- Les entreprises et leur investissement ;
- L’Etat pour les impôts ;
- Les créanciers avec les crédits accordés aux entreprises.
A la CFE-CGC, nous combattons la gestion par les coûts conduite par de plus en plus d’entreprises, qui est une vision court-termiste. A la place, nous proposons de miser sur les compétences que l’entreprise oublie, alors qu’elles permettent le développement des marchés et de l’innovation. C’est cette vision de la compétence métier que les salariés apportent au sein du conseil, et qui se fait de plus en plus rare alors qu’elle est vitale. La vision trop centrée sur le financier détourne l’entreprise des investissements. Une entreprise qui n’investit plus, c’est une entreprise qui ne croit plus en son avenir. La volatilité des actionnaires a conduit les entreprises à cette vision de court terme, introduisant une individualisation de la relation avec les salariés, que l’on retrouve ensuite dans la négociation. Il est donc indispensable de redonner aux entreprises une vision collective et de long terme, c’est ce qui rendra l’entreprise attractive et désirable.
Le troisième sujet de revendication suppose d'intégrer les enjeux environnementaux et sociaux dans la vision comptable des entreprises. En effet, la financiarisation à outrance des entreprises a conduit à une déconnexion du monde dans lequel nous vivons. Par exemple, il faut que les entreprises prennent véritablement conscience du fait que les ressources sont épuisables, comme le montrent les travaux conduits par Alexandre Rambaud, chercheur maître de conférence à AgroParisTech et la mise en œuvre de la comptabilité Care.
De quelle manière menez-vous des négociations ?
Je crois à la vertu du dialogue et de la franchise, dans l’intérêt commun. Ce sont ces valeurs qui me guident lorsque j’entre en négociation.
Par ailleurs, il faut démontrer que l’intérêt est partagé tant par l’entreprise que par le salarié. L’intérêt des salariés, c’est aussi l’intérêt des entreprises. Elles ne doivent pas l’oublier !
Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?
Sans le dire ouvertement, le gouvernement est en train de déconstruire tout l’édifice de notre modèle social
La principale évolution du syndicalisme, c’est la mise à mal du paritarisme par le gouvernement. Sans le dire ouvertement, il est en train de déconstruire tout l’édifice de notre modèle social, basé sur un Etat protecteur, un modèle de solidarité fondé sur un principe assuranciel, comme nos régimes complémentaires de retraites, l’assurance chômage ou encore la Participation de l’employeur à l’effort de construction (PEEC). Tout ce qui s’est construit à l’après-guerre est en train d’être détricoté et c’est très grave.