Laurent Berger, CFDT : « Nous avons fait du travail un sujet central » (table ronde Syndex)
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
« La question actuelle ne couvre pas seulement les retraites mais, de manière plus globale, le monde du travail », a analysé Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, lors d’une table ronde intitulée « Inflation, récession, mutations, transitions : les grands défis du dialogue social en 2023 » organisée par Syndex (cabinet de conseil aux CSE) à Sciences Po le 13 février.
« Un regain d’envie d’engagement collectif »
La crise des vocations d’élus CSE a été révélée par la cinquième édition du baromètre Syndex-Ifop publié le 30 janvier 2023.
Si les élus veulent majoritairement continuer à s’investir, la relève s’annonce difficile à préparer.
En effet, 1 élu sur 4 n’a pas l’intention de se représenter aux prochaines élections des représentants du personnel dans son entreprise, principalement pour les raisons suivantes :
- Le temps nécessité par la fonction (43 %) ;
- Le départ à la retraite (37 %) ;
- Le manque de considération des représentants du personnel par la direction (32 %).
Malgré cette crise des vocations, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, a observé un regain d’enthousiasme, qu’il analyse de la manière suivante :
- « Pendant le mouvement des Gilets jaunes, on pouvait entendre dans les médias que le syndicalisme ne répondait pas aux enjeux actuels du travail, qu’il était complètement déconnecté. Pourtant, aujourd’hui, nous constatons un regain d’engagement collectif.
- Avec cette mobilisation post-pandémie, nous nous retrouvons tous ensemble, nous militons et nous partageons des revendications. Elle rassemble le monde du travail dans sa grande diversité.
- Avant la crise Covid-19, les travailleurs de deuxième ligne avaient le sentiment d’être invisibles. Puis, on les a applaudis et on leur a promis une reconnaissance salariale, mais aussi une meilleure qualité de vie et de meilleures conditions de travail. Et là, on leur dit : “Vous allez travailler deux ans de plus”. Ces salariés de deuxième ligne pendant la crise sanitaire attendaient une reconnaissance qui n’est pas venue. Ces personnes sont très nombreuses dans les cortèges car ce seront celles qui seront les plus impactées par la réforme des retraites. »
Mais ces salariés vont-ils pour autant s’engager dans le syndicalisme ? Pas si évident.
« Je ne crois pas à l’automaticité de l’engagement. Il faudra donner envie à des salariés pour qu’ils nous rejoignent, ce ne sera pas du tout cuit mais un effort à fournir », déclare Laurent Berger.
Selon Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion, IFOP, « la contestation de la réforme des retraites va faire naître des vocations et c’est une bonne nouvelle pour l’engagement ».
« Si la réforme passe malgré la contestation, cette situation va éteindre des ardeurs. Si, aujourd’hui, les organisations syndicales rassemblées arrivent à montrer qu’elles pèsent encore et qu’elles peuvent obtenir des résultats sur un enjeu aussi central pour les Français, pour les salariés, cela modifiera sans doute dans la durée l’image qu’on se fait d’elles et de leur utilité. »
Une organisation du travail à négocier
Pour Laurent Berger, la question actuelle ne couvre pas seulement les retraites mais, de manière plus globale, le monde du travail.
« Le travail était un impensé politique et médiatique. Dans le syndicalisme, nous en avons refait un sujet central. Il y a eu un effet d’accélérateur de la Covid sur le monde du travail, notamment sur le télétravail. Néanmoins, tout le monde ne télétravaille pas. »
Le secrétaire général de la CFDT émet des pistes :
- A ceux qui ne peuvent pas télétravailler, nous portons l’idée qu’une négociation obligatoire sur l’organisation du travail soit mise en place dans leurs entreprises.
- Sur l’organisation du travail sur quatre jours, il n’y a pas de solution miracle. Tout dépend de la manière dont c’est négocié dans les entreprises.
Le risque est de tomber avec le télétravail dans le même piège que les 35 heures, évoque Laurent Berger.
« A leur application, certains ont payé le prix fort en termes de conditions de travail. En effet, les 35 heures ont été appliqués à ceux qui avaient des conditions de travail intenses et qui ne pouvaient pas être au forfait jour. Ce que nous vivons sur le télétravail, c’est ce que nous avons vécu sur les 35 heures. »
De son côté, Jérôme Fourquet évalue à « seulement 30 % » la part des salariés qui peuvent travailler à distance.
- « Cette France périphérique a une structure d’emploi faisant souvent la part belle à ces salariés qui ont commencé tôt à travailler dans l’aide à la personne, le commerce, le BTP, etc.
- La France qui se lève tôt n’a pas forcément fait de longues études et c’est la plus remontée, la plus mobilisée sur l’allongement de l’âge de la retraite.
- Quand on leur parle des retraites, ces Français parlent de travail, de la reconnaissance et de la pénibilité. »
Un dialogue social « plus compliqué »
Un manque de formation
Camille Signoretto, maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Paris (UP), a observé que « le dialogue social reste compliqué ou inexistant » dans les PME.
Elle considère que deux aspects du dialogue social sont à relever :
- Dans les entreprises paternalistes : la relation de subordination entre les salariés et la direction est directe, avec des arrangements informels. Il y a peu de représentants du personnel. Et s’il y en existe, les moyens ne suivent pas ;
- Dans les start-up en croissance : les salariés sont souvent plus qualifiés, comme les représentants du personnel. Ils sont peu syndiqués et concentrent leur action sur les activités sociales et culturelles.
Selon Camille Signoretto,
- « la question des rémunérations reste le principal sujet pour les représentants du personnel pour mobiliser le plus les salariés.
- Pour que les représentants du personnel se saisissent d’autres sujets comme les prérogatives environnementales, il faudrait encore qu’ils soient formés. En effet, on leur demande d’avoir une maîtrise des sujets économiques, sociales et maintenant sur la transition écologique. Il est difficile de trouver de la place pour tout. »
L’avis émis par les CSE peu pris en compte
Concernant la place des enjeux environnementaux dans le dialogue social, Laurent Berger a estimé qu’ils étaient « indéniablement des sujets d’avenir pour les CSE ».
- « Cependant, aujourd’hui l’information consultation sur ce sujet est encore très insuffisant. Il faut aller plus loin en utilisant plusieurs leviers, par exemple sur les aides publiques. C’est pour cela que nous sommes actuellement en négociation avec le patronat sur la transition écologique dans les entreprises
- . Nous formons de nombreux militants représentants du personnel dans des CSE qui sont soucieux de cette question », évoque le secrétaire général de la CFDT.
Sur la question des moyens des CSE, Claire Morel, membre du comité de direction Syndex, a pointé leur faiblesse.
- « Ecouter un représentant du personnel, c’est reconnaître le travail. Cela suppose de prendre en compte l’avis émis par le CSE.
- Pendant la crise sanitaire, les directions étaient bien contentes d’avoir des représentants du personnel pour négocier les accords sur l’organisation du travail, comme par exemple sur le temps de travail, les ruptures conventionnelles collectives, les accords de performance collective, etc. »
De son côté, Jérôme Fourquet confirme « la faiblesse des moyens des représentants du personnel », ce qui a conduit, selon lui, à une « dégradation du dialogue social ».
A ses yeux, la disparition des CHSCT signifie :
- moins d’élus ;
- moins d’experts sur les questions du travail au sein du CSE ;
- un agenda des réunions de CSE surchargées. Des questions prioritaires relatives aux conditions de travail doivent parfois passer en second plan, ce qui est problématique.