Jacques Tallec (FO) : « Le principe confédéral profondément émancipateur est laïc et républicain »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Adhérent à Force Ouvrière depuis près de 40 ans, Jacques Tallec s’inspire des militants historiques pour vivre un engagement syndical fondé sur la justice sociale et laïque.
Il revient sur son parcours et livre ses réflexions sur le sens de ses combats en faveur des droits des salariés et de leur émancipation.
Quel est votre parcours ?
J’ai pu bénéficier du statut d’étudiant salarié, obtenu grâce aux accords Matignon de 1936, en tant que surveillant d’internat en lycée professionnel dès mes 18 ans.
En 1986, j’ai adhéré au syndicat national des lycées et collèges de force ouvrière en Ille-et-Vilaine
En 1990, j’ai obtenu mon premier mandat de délégué du personnel .
En 1995, j’ai également été élu au comité d’entreprise, j’ai ensuite été réélu régulièrement, et obtenu de nombreux mandats, dont celui de délégué syndical central. En conservant ces mandats au sein de la plus grosse association départementale de la protection de l’enfance, tout en exerçant mon métier d’éducateur spécialisé, je me suis engagé avec ténacité aux différents mandats interprofessionnels et fédéraux.
A ce jour, je suis élu dans les différentes instances qui rythment la vie militante inhérente à la démocratie du mandat :
- Secrétaire départemental action sociale de Force ouvrière en Ille-et-Vilaine ;
- Membre de la commission administrative de l’union locale de Rennes ;
- Membre du bureau de l’union locale de Rennes ;
- Membre du bureau de l’union départementale Force ouvrière d’Ille-et-Vilaine ;
- Membre de la coordination régionale des syndicats départementaux FO de l’action sociale des Côtes-d’Armor, du Morbihan, du Finistère et de l’Ille-et-Vilaine ;
- Membre du Conseil Fédéral Dans la fédération nationale action sociale FO ;
- Membre de la délégation fédérale et négociateur de branche ;
- Élu titulaire du CSE ;
- Membre de la commission santé sécurité et conditions de travail ;
- Administrateur de la caisse d’allocations familiales ;
- Animateur du service d’organisations intersyndicales pour les rassemblements et les manifestations départementales ;
- Responsable des collages militants de l’organisation.
Comment est née votre fibre syndicale ?
C’est dans l’histoire de ces précurseurs du mouvement ouvrier que je puise la source de mon engagement anarcho-syndicaliste
Mon grand-père maternel qui a été déporté, évadé et fusillé a toujours constitué pour moi une source d’inspiration. D’ailleurs, comme le disait Emile Pouget, rédacteur de la Charte d’Amiens et théoricien du syndicalisme d’action directe : « L’action directe, c’est la force ouvrière en travail créateur : c’est la force du droit nouveau faisant le droit social ».
Par ailleurs, le parcours d’Eugène Varlin, qui a participé à la défense de la Commune de Paris, constitue pour moi un autre modèle. Il a été assassiné pendant la Semaine sanglante, la répression menée par l’armée des Versaillais, alors qu’il essayait de faire naître une république sociale universelle avec des milliers d’autres ouvriers hommes, femmes, enfants, des communards, des internationalistes polonais, hongrois, maghrébins, italiens.
C’est dans l’histoire de ces précurseurs du mouvement ouvrier que je puise la source de mon engagement anarcho-syndicaliste.
Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à Force Ouvrière ?
Le syndicat est souverain, en ce sens qu’il n’est pas inféodé ni intégré et peut véritablement porter les revendications des salariés
Force Ouvrière s’inscrit pleinement dans la perpétuation de la Charte d’Amiens, une référence essentielle du syndicalisme révolutionnaire et réformiste en France, garante de l’indépendance vis-à-vis des partis politiques, des employeurs, de la religion ou des gouvernements.
Ainsi, le syndicat est souverain, en ce sens qu’il n’est pas inféodé ni intégré et peut véritablement porter les revendications des salariés, ce qui correspond à mes valeurs.
Je pense en effet que le principe confédéral est profondément émancipateur, car il est depuis les origines laïc, républicain, égalitaire, libertaire et solidaire .
Quel est le moment marquant de votre parcours ?
La revendication syndicale n’est pas l’ennemie de l’emploi, bien au contraire
Les éducateurs qui travaillaient le vendredi commençaient à 16h et terminaient le lundi à 14h. De 1980 à 2008, les horaires de nuits étaient forfaitisés trois heures seulement. Cette injustice a fait l’objet d’un combat syndical conduit sur près d’une décennie. Le contentieux au plan national concernant le régime d’équivalence des heures de nuit a ainsi été porté à la Cour de justice de la communauté européenne (CJCE).
A notre niveau en Ille-et-Vilaine, nous avons également assumé le contentieux devant le conseil des prud’hommes (CPH) qui a confirmé que le droit n’était pas respecté et qu’une limite était nécessaire. Force Ouvrière a alors fait gagner près de 12 000 € par salarié de compensation du préjudice subi en termes de travail dissimulé. Ce combat syndical nous a permis d’obtenir la création de l’équivalent de plus de 18 postes temps plein pour couvrir le travail de nuit.
Ainsi, par la force collective, l’action syndicale a été créatrice d’emplois et de justice sociale, ce qui constitue un événement marquant dans mon parcours militant. Cette histoire nous enseigne également que la revendication syndicale n’est pas l’ennemie de l’emploi, bien au contraire.
Un autre événement qui montre tout le sens de l’action syndicale concerne une collègue qui s’est suicidée sur son temps de travail en 2010. Les comptes-rendus du CHSCT de Force Ouvrière que nous avions été en mesure de transmettre à la justice et au tribunal des affaires de sécurité sociale ont permis de faire condamner l’employeur est d’indemniser la famille, c’est-à-dire le veuf et trois enfants mineurs au moment du drame.
Quels sont vos sujets actuels de revendication ?
En vue de mettre en place un accord de CSE, j’ai signé un accord de méthode. Conformément à la loi du 20 août 2008, la représentativité syndicale s’acquiert sans conditions de quorum, tous collèges confondus. J’ai proposé :
- Un premier tour des élections professionnelles consacrées à l’élection du CSE ;
- Un deuxième consacré à l’élection des représentants de proximité ;
- La création d’une commission SSCT qui soit souveraine et décisionnaire (dans l’esprit de l’ex CHSCT) ;
- La création d’heures de délégation pour les référents prévention contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes et pour la prévention du handicap.
De quelle manière menez-vous des négociations ?
La priorité doit toujours être donnée à la clause la plus favorable appliquée à l’ensemble des salariés, suivant le respect de la hiérarchie des normes sociales
Je dispose notamment de deux outils pour négocier, en amont des actions collectives de rassemblement et des rencontres bilatérales avec l’employeur :
- La culture du mandat, qui suppose de porter l’ensemble du cahier de revendications concentré sur l’amélioration des accords collectifs existants ;
- La priorité doit toujours être donnée à la clause la plus favorable appliquée à l’ensemble des salariés, suivant le respect de la hiérarchie des normes sociales.
Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?
Il faut oser vivre cette expérience humaine généreuse et incomparable, exercer un contre-pouvoir, assumer la pensée libre et indépendante.
Le syndicalisme, c’est l’école de l’humilité, de la ténacité, de la lucidité, de la détermination, de l’entraide collective, de la solidarité en acte, de la camaraderie et de l’égalité.
Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?
L’État et le patronat ambitionnent toujours d’annihiler le syndicalisme dans l intégration participative, afin de le réduire à un corps intermédiaire cosmétique
Il revient aux syndicalistes eux-mêmes d’écarter les nombreux dangers. Les syndicalistes libres indépendants doivent se battre collectivement pour sauvegarder les valeurs essentielles que constituent le fédéralisme et le mandat élaboré collectivement.
Face à l’idéologie du marché global capitaliste, aux pressions des gouvernements successifs, le danger grave et imminent. Le conformisme, l’esprit munichois qui distille le renoncement et le défaitisme, tend à évincer les revendications ouvrières dans la durée. L’État et le patronat ambitionnent toujours d’annihiler le syndicalisme dans l intégration participative, afin de le réduire à un corps intermédiaire cosmétique.
Les partis politiques conçoivent toujours le syndicalisme comme leur force supplétive, ils tentent d’instrumentaliser le syndicalisme comme simple courroie de transmission, lui déniant sa capacité de penser et d’agir pour et par lui-même.
Par pression de conformité, nous avons renoncé à quitter la table des concertations vides de sens, notamment sur la question des retraites, ce qui n’aide pas à la construction du rapport de force pour se faire entendre et respecter. Cela entrave le nécessaire travail de la riposte interprofessionnelle et intersyndicale sur des revendications claires et intelligibles comme par exemple, « la retraite à 60 ans c’est du travail pour nos enfants ».
Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte du mouvement des contrôleurs SNCF et de l’émergence de collectifs non syndiqués ?
Le contrepoids qu’exige le rapport de classes dans les entreprises nécessite la permanence du syndicat. Or le côté éphémère ne peut pas suffire
L’émancipation sociale s’exerce dans les négociations de branche, dans les instances représentatives du personnel, sur le terrain où les syndicalistes interpellent sans relâche les employeurs.
Dans les conseils syndicaux, ce sont les adhérents qui décident, ce sont eux qui vont organiser et susciter la tenue des assemblées générales, des rassemblements et des manifestations. Le contrepoids qu’exige le rapport de classes dans les entreprises nécessite la permanence du syndicat. Or le côté éphémère ne peut pas suffire.
Le syndicat doit savoir prendre ces responsabilités en toutes circonstance, dans l’action comme dans la négociation, s’en servir de faire-valoir à quiconque, il doit œuvrer pour et par lui-même, en menant de front les revendications issues de chaque service, et faire le lien avec les revendications qui concernent la branche professionnelle. Un mouvement catégoriel ne suffit pas à défendre l’assurance-chômage, la Sécurité sociale, la retraite par répartition ou l’inspection du travail par exemple.
Seule une confédération syndicale est en capacité de coordonner la force ouvrière par la grève générale interprofessionnelle reconductible. C’est le moyen le plus fiable pour redonner confiance à la classe ouvrière en sa propre capacité d’action.