Marie Buisson (CGT) : « Le besoin de rejoindre des collectifs se fait de plus en plus fort »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
A la tête de la Fédération de l’éducation de la recherche et de la culture (FERC-CGT) depuis 2017, Marie Buisson n’a pas voulu briguer un nouveau mandat lors du congrès qui s’est tenu du 22 au 26 mai 2023 à Quiberon. A travers son parcours syndical débuté en 2001, elle livre ses réflexions sur l’importance des revendications collectives dans la défense des salariés.
Quel est votre parcours ?
- En 2001, je suis devenue enseignante. J’ai adhéré très rapidement à la CGT, dès mon centre de formation où il y avait une permanence. Car j’éprouvais le besoin de défendre mon métier.
- Je suis membre de la commission exécutive de la CGT.
- En 2017, je suis devenue secrétaire générale de la Fédération de l’éducation de la recherche et de la culture (FERC-CGT).
Je n’ai pas souhaité me porter candidate lors du 14e congrès FERC-CGT qui s’est déroulé en mai à Quiberon. C’est Charlotte Vanbesien qui a été élue.
Comment est née votre fibre syndicale ?
Je ressentais le besoin de porter des revendications collectives dans mon métier.
Avant de devenir enseignante vers l’âge de 30 ans, je faisais des petits boulots précaires et je connaissais l’importance d’être représenté dans les enjeux liés au droit du travail.
Je ressentais le besoin de porter des revendications collectives dans mon métier et d’accompagner les salariés dans leurs démarches auprès de l’administration, au niveau de mon établissement, mon département et dans mon académie.
En effet, l’administration a besoin de nous pour la prise en compte des besoins individuels, ce qui est très difficile, compte tenu des moyens limités alloués à la gestion du personnel dans une académie.
Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CGT ?
Depuis le plus jeune âge, la CGT correspond à mon engagement antiraciste, féministe, et plus globalement dans la lutte contre les inégalités.
Par ailleurs, ce syndicat, majoritaire chez les professeurs de lycée professionnel, était présent sur le lieu de formation une ou deux fois par semaine dans une permanence. C’est ainsi que j’ai commencé à échanger avec les militants.
Quel est le moment marquant de votre parcours ?
Si nous avions été dans le secteur privé, nous aurions gagné un procès aux prud’hommes.
Il y a eu de nombreuses luttes dans mon établissement scolaire pour empêcher des fermetures de classes, l’embauche de contractuels, etc.
- La défense d’une professeure dans l’académie de Versailles, contractuelle depuis plusieurs années, a particulièrement marqué mon parcours. Il était prévu que son contrat soit reconduit comme chaque année. Et ce, afin qu’elle reste dans son établissement.
- En tombant enceinte, elle a envoyé une déclaration au rectorat, qui l’avait rapidement recontacté pour lui signifier le non renouvellement de son contrat.
- On lui avait également demandé de reprendre contact avec le rectorat à la fin de son congé maternité. Face à cette réponse cynique, nous avons écrit des courriers, procédé à des appels téléphoniques et demandé une audience auprès du rectorat pour obtenir gain de cause. Dans une situation similaire dans le secteur privé, nous aurions gagné un procès aux prud’hommes.
- Finalement, cette collègue a obtenu son contrat de renouvellement. Elle a juste été remplacée lors de sa période de son congé maternité.
De quelle manière menez-vous des négociations ?
Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas de négociations à l’échelle nationale.
Nous sommes toujours très respectueux des personnes à qui nous faisons face. Comme le moteur de notre engagement syndical est la lutte contre les injustices, on peut se laisser aller aux émotions, se montrer ferme - même parfois en colère - sans pour autant être agressif.
Par ailleurs, il faut bien garder ses revendications en tête, comme la titularisation de tous les contractuels de l’Education nationale.
Cela fait bien longtemps que nous n’avons pas pu avoir de négociations à l’échelle nationale. Certes, il existe des concertations et des rapports gouvernementaux de plusieurs dizaines de pages. Mais, au final, les textes de loi ne reprennent rien de ce qui est discuté en amont.
Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?
Il est important de rester modeste, de prendre conscience qu’on ne peut pas avancer tout seul et qu’il faut prendre le temps du collectif.
Par ailleurs, l’engagement syndical est particulièrement prenant et pour cette raison, il est nécessaire de prendre du temps hors du syndicalisme. Garder un pied dans son métier peut ainsi être une bonne chose.
Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?
Quand je suis arrivée dans le syndicalisme, les militants étaient plus âgés que moi avec peu de trentenaires. Aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus nombreux.
Je crois que le besoin de rejoindre un collectif est plus fort, notamment avec ce qui s’est passé pendant la réforme des retraites.
Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?
Il me semble qu’il y a toujours eu des collectifs non syndiqués. Leur existence montre que ce sont aussi des petites alertes auxquelles il faut faire attention.
Elles signifient que nous ne sommes pas toujours assez proches des revendications quotidiennes. Il faut toujours regarder si nous pouvons converger vers certaines d’entre elles.
Une organisation telle que la CGT offre un cadre organisé de disponibilité en entreprise. Ce que ne disposent pas ces collectifs.
Quelles sont vos impressions à l’issue du 14e congrès de la FERC-CGT à Quiberon ?
Les résolutions nous ont permis d’échanger de manière constructive.
Le congrès a réuni 150 personnes et s’est très bien passé. Pour la première fois dans l’histoire de la fédération, notre direction a été élue à 97 % des voix.
Les résolutions approuvées à la majorité des congressistes ont permis d’échanger de manière constructive sur des sujets importants comme :
- La montée de l’extrême-droite et notre responsabilité éducative dans la manière d’aborder la question ;
- L’accompagnement des jeunes, puisque la CGT a décidé de syndiquer les salariés étudiants ;
- La réforme des retraites ;
- Les salaires trop bas dans notre métier, en particulier avec les conséquences de l’inflation ;
- Le développement du nombre d’adhérents.
Par ailleurs, nous sommes la 8ème plus grosse fédération de la CGT.
Avec ce congrès, quel bilan dressez-vous de votre activité syndicale ?
Le bilan est bon. Il a fait consensus parmi les militants. Cependant, je n’ai pas présenté ma candidature en vue de ma réélection.
Depuis 10 ans, j’étais au bureau fédéral, avec 2 mandats de secrétaire générale. La fédération a beaucoup évolué. Le moment m’a semblé bon pour renouveler l’équipe, porteuse d’idées différentes.
D’autre part, à l’âge de 55 ans, je souhaitais reprendre mon activité professionnelle que j’avais suspendue depuis 2020.
Comment avez-vous vécu le 53e congrès confédéral de la CGT à Clermont-Ferrand en mars 2023 ?
Ce congrès a été moins serein que celui de la FERC, où nous avons cherché le consensus.
Cependant, je suis heureuse qu’une femme dirige la CGT pour la première fois de son histoire.
C’est un signal fort, notamment pour le monde du travail comme pour notre organisation : la jeune génération attendait que nous ouvrions les portes à une femme.
Vous étiez pressentie pour succéder à Philippe Martinez à la direction de la CGT. Avez-vous été déçue de ne pas être élue ?
Il n’y a ni ressentiment ni déception.
Il y avait des tensions autour de ma candidature. Je savais que cette situation pouvait arriver.
Je n’ai pas réussi à convaincre suffisamment de gens dans mes convictions. C’est la vie d’une organisation qui veut cela.
C’est simplement une page qui se tourne après plusieurs années de fort investissement. Je le réoriente notamment vers ma reprise professionnelle qui me tient à cœur.
Il n’y a donc ni ressentiment ni déception. Le plus important est que cela fonctionne bien pour la CGT.
Avec l’élection de Sophie Binet, êtes-vous confiante sur l’avenir de la CGT ?
Sophie Binet remplira sa mission avec conviction et intelligence.
Je crois qu’on a tendance à surinvestir le mandat de secrétaire général.
En effet, l’enjeu reste fondamentalement collectif, dans le sens où la CGT doit porter toutes les revendications des unions départementales et des différentes fédérations, qui sont le cœur vivant de notre syndicat.
C’est d’ailleurs grâce à ces unions locales et départementales que les manifestations contre la réforme des retraites ont été rendues possibles sur tout le territoire français.
Je suis certaine que Sophie Binet remplira sa mission avec conviction et intelligence.