Dialogue social

Nathalie Bazire (CGT) : « L’importance de la lutte syndicale a été réactivée »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire confédérale du bureau exécutif de la CGT et secrétaire générale de l’Union départementale de la CGT dans la Manche, Nathalie Bazire est également en charge de la négociation interprofessionnelle sur le « pacte de la vie au travail » sur l’emploi des seniors.
Elle revient sur son parcours et sur sa vision de l’engagement syndical.

Nathalie Bazire, secrétaire confédérale du bureau exécutif de la CGT  - © D.R.
Nathalie Bazire, secrétaire confédérale du bureau exécutif de la CGT - © D.R.

Quel est votre parcours ?

  • J’ai adhéré à la CGT en 2002 lorsque j’étais technicienne à la Caisse primaire de l’Assurance Maladie de la Manche. En 2003, je deviens déléguée du personnel.
  • En 2004, je commence à militer à l’union locale CGT de Cherbourg et je m’engage à militer dans les actions interprofessionnelles de la CGT, tout en étant maman d’un enfant de 2 ans. Cela n’a pas été un frein mais je le souligne car cela m’a demandé de l’organisation.
  • En 2005, je suis nommée secrétaire adjointe du comité d’entreprise, puis secrétaire en 2008. Un mandat que je garde jusqu’en mars 2016.
  • En 2009, je participe en tant que déléguée à mon premier congrès de l’union départementale CGT de la Manche. Je rentre à la commission exécutive de l’union départementale CGT de la Manche sur les sujets relatifs à la Sécurité sociale. Je deviens ainsi responsable de la commission protection sociale de l’union départementale.
  • Très rapidement, en 2012, je deviens secrétaire à la vie syndicale de l’union départementale CGT de la Manche. Je m’occupe tout particulièrement de la formation syndicale.

De 2014 à ce jour, je suis secrétaire générale de l’union départementale CGT de la Manche.

En 2019 je deviens membre de la direction confédérale de la CGT. Je suis en charge des dossiers interprofessionnels à temps complet.

Le 31 mars 2023, je suis élue membre du Bureau confédéral CGT.

Comment est née votre fibre syndicale ?

Les luttes interprofessionnelles m’ont donné envie de m’engager.

Déjà très jeune, je militais dans les associations et j’ai toujours été sensible aux injustices.

Par ailleurs, au-delà de l’approche syndicale dans l’entreprise et de l’image que véhiculait les syndicats, leur force notamment par une belle représentativité, ce sont les luttes interprofessionnelles qui m’ont donné envie de m’engager dans le syndicalisme. En effet, j’ai toujours été attirée par ce qui se passait à l’extérieur de l’entreprise, et qui porte la voix de toutes et tous.

Un événement extérieur à l’entreprise a également constitué un déclic dans mon parcours syndical. 

Un camarade CGT de mon département faisait face à des problèmes de liberté syndicale bafouée. Alors qu’il était le porte-parole de la CGT de Cherbourg, on lui reprochait de faire grève et de manifester. Face à l’injustice, j’ai voulu m’engager tout de suite.

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CGT ?

Lorsque j’ai décidé de m’engager, j’ai rapidement envisagé de le faire à la CGT, un syndicat dont les propositions me semblaient être les meilleures pour améliorer les conditions de travail et les salaires.

Les positions de cette organisation syndicale peuvent changer les choses au-delà du cadre de l’entreprise, notamment sur le plan légal et au niveau du gouvernement.

Par ailleurs, les débuts de mon contrat à la CPAM ont été marqués par ma grève en décembre 1995 contre la loi Juppé [NDLR : un plan de financement des retraites et de la Sécurité sociale]. J’ai ainsi rapidement été active dans le domaine syndical interprofessionnel, avant même de m’engager dans mon entreprise.

Au cours de vos différents mandats, quels ont été les moments forts de la négociation collective ?

Dans l’entreprise, ce sont toutes les négociations pour :

  • Maintenir les effectifs ;
  • L’augmentation des salaires ;
  • La continuité des missions afférentes à la Sécurité sociale. En effet, nous avons perdu de nombreuses missions, notamment sur la prévention ;
  • La mise en place de la réduction du temps de travail avec un accord validé par les salariés.

Concernant vos sujets actuels de revendication, comment vivez-vous la négociation qui se déroule dans le cadre du nouveau pacte de la vie au travail ?

Le patronat n’a pas envie de financer quoi que ce soit.

Cette négociation arrive sur le tard alors qu’elle aurait dû avoir lieu avant la réforme des retraites.

Dans la bataille que nous menons, nous estimons que les enjeux de la négociation sont les suivants :

  • Des dispositifs contraignants pour les entreprises doivent être mis en place ;
  • Des nouveaux droits doivent être gagnés pour les salariés pour garantir du progrès social.

Cette négociation arrive après la réforme des retraites qui impose aux salariés de travailler deux ans de plus. Or pour garantir l’emploi des seniors, le patronat n’a pas envie de financer quoi que ce soit. Et l’Etat doit faire cesser les exonérations de cotisations sociales.

Pourquoi La CGT n’est-elle pas favorable au compte épargne-temps universel (CETU) ? C’est un dispositif permettant aux salariés de stocker les congés payés et les RTT non sollicités afin de les utiliser ultérieurement…

Le CETU est un danger pour les salariés.

La CGT considère que le CETU n’est ni une priorité, ni une réponse satisfaisante pour l’aménagement des fins de carrière. En effet, le compte épargne-temps (CET) permettant au salarié d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération (immédiate ou différée), en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises, ou des sommes qu’il y a affectées.

Sur ce dispositif, nous avons constaté que les salariés ayant des conditions de travail pénibles y ont recours et ne partent pas en congés. Ceux-là ne bénéficient finalement pas du CET car ils arrêtent leur parcours professionnel pour cause de santé avant l’âge légal de départ à la retraite.

Le CETU est un danger pour les salariés :

  • en étant complètement à la main du salarié,
  • en dédouanant la responsabilité des employeurs dans l’aménagement de fin de carrière et la prise en compte de la pénibilité.

Nous préférons à la place :

  • La mise en place d’une réduction du temps de travail pour tous les salariés ;
  • Des temps partiels pour les personnes de plus de 50 ans, payés à 100 % et cotisés à 100 %.

À votre avis, quels sont les principes d’une bonne négociation ?

Pour mener une négociation, il faut :

  • Analyser le contenu du document d’orientation ;
  • Identifier les axes d’amélioration ;
  • Regarder ce qui se fait dans les branches professionnelles ;
  • Poser ce qu’on appelle des lignes rouges en fonction des avancées de la négociation, c’est-à-dire poser les limites de ce qui n’est pas acceptable entraînant une régression pour les travailleurs.

À la CGT, nous sollicitons régulièrement le retour du bureau confédéral et nous gardons les échanges avec les différentes fédérations qui négocient depuis la réforme des retraites sur :

  • Des aménagements de fin de carrière ;
  • Des accords sur la pénibilité.

Rappelons que la négociation appartient aux salariés et que nous sommes là pour les représenter.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

La CGT étant un syndicat de transformation sociale, il faut toujours être à l’écoute des salariés au plus près des réalités pour militer.

En tout état de cause, l’engagement doit être au service du collectif.

Comment analysez-vous l’évolution des mandats d’élus du personnel ?

Le syndicalisme a le vent en poupe.

Les ordonnances Macron ont fait beaucoup de mal aux représentants du personnel. La mise en place des CSE a accéléré l’institutionnalisation du syndicalisme.

Par ailleurs, les attaques aux libertés syndicales se multiplient et peuvent freiner l’engagement de certains salariés. En effet, il devient récurrent de voir les personnes qui s’engagent dans leur CSE être stigmatisées par des directions qui mettent à mal leur carrière professionnelle. Nous nous battons pour les défendre. Cela ne freine en aucun cas l’engagement des salariés à rejoindre la CGT (près de 60 000 en 2023).

Nous observons bien une progression du nombre de personnes favorables à l’action collective. Le syndicalisme a le vent en poupe, notamment sur les sujets relatifs à l’environnement ou à l’égalité femmes-hommes au travail, dans un contexte où l’extrême-droite se trouve aux portes du pouvoir.

Nous avons besoin de renforcer la place du syndicalisme pour faire en sorte que cela n’arrive pas.

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?

Quel que soit le collectif, il n’a pas de pouvoir puisqu’il n’est ni représentatif, ni reconnu. Il n’est pas légitime pour revendiquer des nouveaux droits à un niveau interprofessionnel.

Pour autant, il crée du lien et un passage qui peut permettre à des salariés isolés de prendre la mesure de l’intérêt de l’engagement syndical, et sa pertinence.

Or la représentativité est essentielle et en ce sens, les collectifs de travail doivent s’organiser pour rejoindre dans un second temps les syndicats. Les salariés l’ont bien compris, notamment lors de la lutte contre la réforme des retraites qui a réactivé la prise de conscience de l’importance de la lutte syndicale.