Dialogue social

Olivier Laurent (CFE-CGC) : « Sans les élus, les entreprises seront les grandes perdantes »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Président de la métallurgie Franche-Comté CFE-CGC, Olivier Laurent fonde son engagement syndical sur la lutte contre les injustices subies par ses collègues.
Attaché notamment aux sujets relatifs à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, ainsi qu’à la lutte contre l’évasion fiscale, il revient sur son parcours syndical débuté en 2006.

Olivier Laurent, président de la métallurgie Franche-Comté CFE-CGC - © D.R.
Olivier Laurent, président de la métallurgie Franche-Comté CFE-CGC - © D.R.

Quel est votre parcours ?

En 2006, j’ai été élu à mon premier mandat en tant que délégué du personnel sur le site de Peugeot Sochaux. J’ai enchaîné avec trois mandats au CHSCT, dont un de secrétaire ;

En 2010, j’ai été élu au CE, j’ai représenté mon organisation syndicale plusieurs années en commission « loisirs » ;

En 2010, je me suis présenté au poste de délégué national pour la fédération de la métallurgie et j’ai été élu à Montpellier. J’étais chargé du développement syndical pendant 4 ans ;

En 2015, j’ai été élu président du syndicat de la métallurgie de Franche-Comté CFE-CGC de Belfort. Je désigne les délégués syndicaux en Franche-Comté, je valide les listes électorales etc.

Ceci me donne désormais un rôle transverse. Nous sommes le premier syndicat dans la convention collective de Belfort/Montbéliard. 

Comment est née votre fibre syndicale ?

Face à l’injustice, avoir une réaction épidermique ne suffit pas.

J’ai toujours été révolté par l’injustice et motivé par la défense d’autrui. Face à l’injustice, avoir une réaction épidermique ne suffit pas, c’est même souvent contre productif. Le syndicalisme offre des outils de lutte contre l’injustice, notamment par :

  • La formation ;
  • La connaissance du droit, des règlements ;
  • Des méthodes de travail.

Quand j’ai commencé à m’engager en 2006, des décisions de la direction étaient difficiles à appliquer. C’était le début du « Lean », une méthode de gestion d’organisation et d’optimisation du travail dévastatrice mettant les salariés de l’encadrement sous pression.

J’ai ainsi décidé de porter la voix de mes collègues en souffrance. 

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CFE-CGC ?

C’est par le biais d’un collègue délégué CFE-CGC que j’ai choisi d’adhérer. 

Face à des problèmes spécifiques à une population souvent négligée, nous cherchons des solutions et défendons les intérêts de nos collègues par des propositions pour alimenter les négociations, ce qui est très enrichissant. Nous savons aussi être procéduriers.

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

Les accidents du travail de mes collègues et les risques psycho-sociaux sont des sujets toujours marquants.

Mon entrée dans la fédération constitue un événement marquant. En effet, c’est là où j’ai pris pleinement conscience de ce qu’est l’architecture d’un syndicat. Cela m’a permis de rencontrer des gens exceptionnels. 

Par ailleurs, les accidents du travail de mes collègues et les risques psycho-sociaux sont des sujets toujours marquants à mon sens. La course effrénée vers la productivité, la perte de sens engendre un mal-être de plus en plus profond dans l’encadrement au sens large. 

Pour avoir moi-même vécu le burn-out, je mets un point d’honneur à mettre en place les mesures de prévention dès que j’en ai la possibilité. Nous avons d’ailleurs déployé un programme de formations dédiées à nos élus sur ce sujet.

Quels sont vos sujets actuels de revendication ?

Les entreprises font en sorte d’externaliser en dehors de l’Europe leurs projets polluants et gardent chez nous leurs projets propres.

En Franche-Comté, nous travaillons actuellement sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Désormais, les élus doivent intégrer les enjeux environnementaux à leurs prérogatives, notamment à travers la BDESE. L’industrie et l’écologie doivent cohabiter, ça n’a rien d’antinomique Parfois, les entreprises font en sorte d’externaliser en dehors de l’Europe leurs projets polluants et gardent chez nous leurs projets propres. C’est pour cette raison que nous, les élus, devons être attentifs à ce qu’un problème ne soit pas déplacé. L’ensemble des processus de la R&D à la fabrication doivent être vertueux, nous devons tout faire pour qu’ils restent chez nous. En ce sens, la RSE peut nous aider.

Par ailleurs, au niveau des CSE, dans la gestion de nos œuvres sociales, nous devons nous concentrer sur les circuits courts, à travers les commandes groupées locales. 

Enfin, nous concentrons notre travail sur la lutte contre l’évasion fiscale. Dernièrement, nous avons déposé un recours auprès du parquet financier de Paris, accompagné par des ONG, pour une suspicion d’évasion fiscale d’un grand groupe américain. Je pense que nous devons mettre en place des formations pour permettre à nos élus d’identifier des marqueurs, donner des clefs pour identifier et combattre ces processus nuisibles à la société et à l’entreprise.

Lorsque nous négocions une hausse des salaires, nous en avons assez qu’on nous réponde que cela « nuirait à la productivité », tandis que l’évasion fiscale n’est pas un sujet. Pourtant, l’évasion fiscale porte préjudice aux sous-traitants, à l’investissement, aux salariés et plus largement à la répartition des richesses.

Ce n’est pas acceptable à l’heure de la réforme des retraites, où l’on demande aux Français de faire des efforts supplémentaires. Le système est siphonné par les mêmes personnes qui nous demandent ces efforts.

La RSE et la question de l’évasion fiscale intéressent fortement les jeunes et c’est pourquoi nous nous concentrons sur les formations dédiées à ces sujets.

De quelle manière menez-vous des négociations ?

Compte tenu de la variété des entreprises et des secteurs, trouver une méthode de négociation me semble difficile.

En revanche, pour toutes les négociations, comme l’élu de CSE doit garder un œil sur les comptes de l’entreprise et savoir ce qui se passe, nous proposons des formations et des outils clés en main. Il faut maîtriser ces sujets et apprendre à poser les bonnes questions. Ceci demande un gros travail de préparation en amont de chaque négociation.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

La reconnaissance et la formation sont des éléments clés dans un mandat d’élu.

Tout d’abord, il faut repérer ses appétences naturelles et travailler dessus. On ne peut pas être expert dans tous les domaines, comme l’économie, les risques psycho-sociaux, l’écologie etc. Il s’agit d’éviter de s’engager dans un mauvais mandat.

Grâce au dispositif de la Validation des acquis de l’expérience (VAE), j’ai obtenu un Master 2 de « Dirigeant Entrepreneur ». Je cherchais un moyen de valoriser mon parcours syndical et la reconnaissance des aptitudes développées lors de l’exercice d’un mandat est rare au sein des entreprises.

En effet, la reconnaissance et la formation sont des éléments clés dans un mandat d’élu. Aujourd’hui, grâce au syndicalisme, vous pouvez approfondir vos connaissances sur des sujets diverses : communication, lecture de comptes, animation, techniques de négociation, RSE…

Je ne vois pas de limite. L’idéal étant de les valoriser, après quelques années, via des VAE par exemple.

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

Les représentants du personnel ne sont pas pris au sérieux.

Le syndicalisme se professionnalise et a une vue d’ensemble des sujets parfois très techniques. Ce qui semble paradoxal, c’est que les dernières lois votées ont considérablement réduit nos moyens.

L’intérêt partagé est celui de la pérennité de l’entreprise. Il arrive que des ingénieurs, par exemple, des personnes de l’encadrement en général syndiquées émettent un avis sur des sujets qu’elles maîtrisent bien et pourtant, de manière générale, les représentants du personnel ne sont pas pris au sérieux. Il y a un vrai problème de légitimité des salariés pourtant très compétents dans leur domaine, ce qui n’est pas le cas de tous les dirigeants.

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte du mouvement des contrôleurs SNCF et de l’émergence de collectifs non-syndiqués ?

Je conseille toujours aux patrons de chérir leurs militants.

Nous sommes en procédure au Parquet national financier de Paris pour évasion fiscale. Nous travaillons pour la première fois avec des ONG ce qui très intéressant et enrichissant. 

Les collectifs non syndiqués ou les ONG n’ont pas les mêmes modes de fonctionnement que nous. Ils n’ont pas eu les formations ni la même structure qui nous donne un cadre pour travailler. Certains collectifs se sont créés pour lutter sans ménagement contre des entreprises, sans toujours mesurer les conséquences. Ils sont d’une efficacité redoutable et cela peut être inquiétant, en effet.

Il faut toujours tenter de comprendre pourquoi ces collectifs existent et émergent, mais si à l’avenir ils remplacent les représentants du personnel, les entreprises seront les grandes perdantes. La nature a horreur du vide, je conseille toujours aux patrons de chérir leurs militants qui ont pour souci la préservation de l’emploi et la pérennité de l’entreprise.