Dialogue social

Hommage à Frédéric Sève (CFDT) : « Il faut s’engager sans idée préconçue du syndicalisme »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire national de la CFDT en charge des retraites, Frédéric Sève trouvait dans l’engagement syndical une manière de comprendre la réalité du terrain, des métiers et des besoins des salariés dans le monde du travail.
Il évoquait son parcours syndical et faisait part à CSE Matin de ses réflexions sur ses revendications actuelles, autour de la retraite, des travailleurs immigrés et des discriminations en entreprise.
Hommage au parcours syndical de Frédéric Sève, dont le décès brutal est survenu le 25 juillet 2022.

Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT en charge des retraites - © Virginie de Galzain
Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT en charge des retraites - © Virginie de Galzain

Quel est votre parcours ?

En 1995, j’étais enseignant et au début de ma carrière, je me suis syndiqué au Sgen-CFDT, le syndicat général de l’éducation nationale ;

En 2005, j’ai intégré le conseil fédéral du Sgen-CFDT. C’est la première fois que j’entrais dans une instance nationale ;

En 2012, je suis entré à la commission exécutive de cette fédération et j’en suis devenu le secrétaire général ;

En 2016, Laurent Berger m’a demandé d’intégrer la commission exécutive de la CFDT.

Comment est née votre fibre syndicale ?

J’avais besoin d’un syndicat proche de mes aspirations, c’est-à-dire qui analyse la réalité des métiers et qui s’engage, au-delà d’une posture figée

Mon engagement, je l’ai vécu comme une évidence, à travers ma famille militante à la CFDT. D’autre part, j’étais enseignant, j’avais besoin d’un syndicat proche de mes aspirations, c’est-à-dire qui analyse la réalité des métiers et qui s’engage, au-delà d’une posture figée. La CFDT correspond à mes attentes et s’intéresse aux problèmes des salariés en pratique, et non seulement en théorie.

Quel a été le moment marquant de votre engagement ?

Lorsque j’étais secrétaire général du Sgen-CFDT, j’ai été très marqué par les attentats de 2015 à Paris et de 2016 à Nice. En effet, je devais porter la parole collective en étant apaisant et réfléchir à la manière dont nous pouvions sécuriser les établissements scolaires. C’était à la fois exigeant et anxiogène.

L’autre moment marquant mais aussi source de déception était celui de la réforme des retraites. Le début était stimulant quand nous avons commencé à penser cette réforme mais le processus a ensuite été perverti par des considérations budgétaires.

Avez-vous une méthode pour mener vos négociations ?

Pour négocier, il faut accepter une part de compromis. Une négociation doit apporter quelque chose à chacune des parties

Je n’ai pas vraiment de méthode, sinon de demander conseil aux personnes plus expérimentées que moi.

En revanche, il existe une méthode propre à la CFDT :

  • Clarifier et mettre de l’ordre dans nos objectifs ;
  • Identifier les demandes légitimes des 2 parties, ce qui nous oblige à être imaginatif ;
  • Accepter une part de compromis. Une négociation doit apporter quelque chose à chacune des parties.

Que conseilleriez-vous à une personne sur le point de s’engager ?

Il faut s’engager sans idée préconçue sur le syndicalisme, se lancer avec le goût des autres et de la réalité des métiers, avec une grande ouverture d’esprit.

Par ailleurs, il faut s’intéresser au travail, être convaincu qu’on peut y construire des choses positives, y gagner des avancées pour les personnes.

Quelle est l’actualité de vos revendications ?

Le sujet des discriminations liées à l’origine ou à l’orientation sexuelle devrait également devenir un sujet d’attention réelle dans les entreprises

Le plus gros dossier est celui de la retraite et à la CFDT, nous revendiquons un système de retraite universel. Tant que nous n’aurons pas universalisé la solidarité en matière de retraite, cela ne fonctionnera pas bien. En France, le débat est focalisé sur la question de l’âge du départ à la retraite, ce qui dénote une approche très normative. C’est comme si nous imposions du prêt-à-porter alors qu’il faudrait du sur-mesure, adapté au parcours, aux besoins et aux envies de chacun. Pour ce faire, le système doit augmenter la liberté de choix accordée aux gens, pas la réduire.

L’immigration est un autre dossier. Là encore, le débat se focalise sur des aspects secondaires comme les flux, les entrées et les sorties. Pourtant, près de 2 millions de Français ont migré à l’étranger pour travailler et si nous admettons que nos compatriotes ont le droit de s’expatrier, il faut aussi accepter que des étrangers viennent en France. Il nous faut sortir de l’idéologie toute faite et considérer la réalité du terrain et des situations.

Le sujet des discriminations liées à l’origine ou à l’orientation sexuelle devrait également devenir un sujet d’attention réelle dans les entreprises. Lorsqu’on n’y prend pas garde, il peut y avoir des mécanismes spontanés de discrimination dans le monde du travail. Malheureusement, c’est un sujet encore trop ignoré ou nié. Il y aurait beaucoup à faire pour lutter contre les discriminations, en étant attentifs à un niveau collectif. Grâce aux nouvelles générations plus sensibles à cette question, le sujet va être de moins en moins négligé.

Comment percevez-vous l’évolution des IRP, depuis le début de votre parcours syndical ?

Le dialogue social en entreprise a clairement souffert depuis les ordonnances de 2017

Le dialogue social en entreprise a clairement souffert depuis les ordonnances de 2017. La raréfaction des moyens, des représentants de proximité et la concentration des CSE : tout cela est fortement préjudiciable au bon fonctionnement des IRP. Il est nécessaire de revenir sur ces domaines, que les suppléants puissent siéger et réinvestir dans les moyens humains.

De manière générale, il faut considérer les IRP comme une ressource du bon fonctionnement de l’entreprise et non comme une contrainte institutionnelle ou un coût.