Dialogue social

Lazare Razkallah (CGT) : « Avec le CSE, l’économie a pris le pas sur les rapports de proximité »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire de CSE chez TUI depuis 2002, Lazare Razkallah revendique un engagement syndical fondé sur une vision humaniste du droit des salariés. Il revient sur son parcours militant et livre ses réflexions sur les mutations du syndicalisme qu’il observe sur le terrain.

Interview de Lazare Razkallah, CGT - © D.R.
Interview de Lazare Razkallah, CGT - © D.R.

Quel est votre parcours ?

Fort de mon expérience sur le terrain, je souhaite devenir consultant et conseiller les CSE dans leurs missions

Je travaille chez TUI (anciennement Nouvelles Frontières) depuis 36 ans. A mon embauche, j’étais au service clientèle. 

Je me suis engagé dans le syndicalisme en 2002. Ma femme qui était aussi ma collègue, m’avait inscrit sur les listes des élections professionnelles à mon insu. J’ai alors été élu secrétaire de CE.

Comme l’entreprise avait été revendue et qu’il y avait une nouvelle direction, elle a pensé que c’était le moment de défendre les droits des salariés. Elle avait raison : après l’arrivée de cette nouvelle direction, nous avons subi une dizaine de plans sociaux.

Je suis resté secrétaire du CSE jusqu’à ce jour. Pour les prochaines élections professionnelles de décembre 2022, je prévois une reconversion professionnelle en autoentrepreneur.

Fort de mon expérience sur le terrain, je souhaite devenir consultant et conseiller les CSE dans leurs missions. Je vais donc quitter l’entreprise et je ne me représenterai pas.

Quel est le moteur de votre engagement ?

  • Lutter contre les injustices,
  • écouter, défendre les salariés,
  • tenter de trouver une solution par un accord plutôt que par l’affrontement.

C’est ce qui m’a toujours animé, avant même le début de mon engagement syndical.

Pourquoi avez-vous choisi la CGT ?

Lorsque je me suis engagé, c’était l’organisation la mieux organisée. C’est aussi la CGT qui donne le plus la priorité à des valeurs humanistes et de bienveillance.

Quels sont les moments marquants de votre parcours ?

C’est par une réunion Teams que le directeur de TUI France nous a annoncé le dernier plan social. La Direccte ayant homologué un plan social qu’elle n’aurait pas dû homologuer, nous avons protesté devant dans ses bureaux des Hauts-de-Seine.

Lorsque nous sommes allés en référé pour annuler ce plan social en urgence, nous avons vu le représentant de la DIRECCTE s’assoir à côté de la DRH et son avocat, puis discuter entre eux. Ce représentant nous a ensuite dit qu’il n’y avait aucune urgence, que les salariés étaient en congé de reclassement, alors que c’est l’antichambre du chômage.

On nous accuse d’injures et de diffamation vis-à-vis d’un agent de la Direccte. Il est vrai que des propos ont été tenus sous le coup de la colère. Mais cette affaire est allée très loin, car Elisabeth Borne, la première ministre, s’est empressée de se plaindre auprès de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. 

Le directeur régional chez Direccte IDF, nous a ensuite proposé de nous entretenir pour apaiser la situation, il nous a assuré qu’il comprenait notre colère et que la Direccte ne porterait pas plainte contre nous.

Cependant, l’agent incriminé a reçu le soutien de Madame Borne pour porter plainte, ce qu’il a fait. C’est pourquoi, nous sommes huit personnes à être mises en examen et convoquées en correctionnelle. Les salariés en souffrance sont scandalisés par ce traitement.

A la grande manifestation du 23 janvier 2021 pour dénoncer les plans de licenciements massifs, nous avons réussi à les fédérer 5 000 personnes

Par ailleurs, ce qui a beaucoup marqué mon parcours, c’est la grande manifestation du 23 janvier 2021 pour dénoncer les plans de licenciements massifs. C’était organisé par TUI mais de nombreux salariés d’autres entreprises se sont joints à nous. Nous avons réussi à les fédérer 5 000 personnes présentes, ce qui est à la fois extraordinaire et émouvant.

Quels principes appliquez-vous pour mener une négociation ?

Je n’ai pas de principe ou de méthode en particulier. En revanche, je dis toujours à la direction que nous serons toujours d’accord lorsque les propositions vont dans le sens de l’intérêt des salariés. Nous nous opposerons toujours à une réduction de leurs droits.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

C’est une expérience extraordinaire pour apprendre des tas de choses, dans des domaines très variés : le droit, le social, la comptabilité…

C’est un engagement à prendre au sérieux, en raison des responsabilités que cela implique. Je dirais également que c’est une expérience extraordinaire pour apprendre des tas de choses, dans des domaines très variés : le droit, le social, la comptabilité etc.

Enfin, il faut sincèrement aimer les gens, leur contact pour les écouter avec bienveillance.

Quels sont les sujets que vous portez actuellement dans vos revendications ?

C’est d’abord le pouvoir d’achat : nous demandons 7 % d’augmentation. C’est le sujet sur lequel les salariés nous posent beaucoup de questions.

Le télétravail est un autre sujet d’importance et un accord a été signé par la direction et l’ensemble des organisations syndicales représentatives de l’UES TUI France (FO, CFDT, CGT) le 13 septembre 2022.

Aujourd’hui, l’actualité de l’entreprise, devenue plus petite, est beaucoup moins riche. Lors du dernier plan social en date, la direction a tenté de supprimer 600 postes mais cela va leur coûter 30 millions d’euros de provisionnement. 300 salariés vont aller aux prud’hommes et les autres vont être réintégrés, comme le prévoit la loi. 

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ? 

La disparition des DP est fortement regrettable. C’était une instance de proximité qui nous permettait parfois d’avoir gain de cause pour le salarié, ce qui me réjouissait

J’ai remarqué que l’intérêt personnel prime de plus en plus sur le collectif.

Par ailleurs, la disparition des DP est fortement regrettable. C’était une instance de proximité qui nous permettait parfois d’avoir gain de cause pour le salarié, ce qui me réjouissait. Cela donnait même envie à certains salariés de s’engager dans le syndicalisme. Malheureusement, avec le CSE, les questions économiques ont largement pris le pas.