Dialogue social

« Administrateur salarié : c’est le prolongement de mon engagement syndical » M-C. Lebert, Worldline

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Administratrice représentant les salariés depuis 2018, d’abord au sein du groupe Atos puis de Worldline, Marie-Christine Lebert revient sur son parcours syndical à la CFDT, sur la vision du mandat d’administrateur salarié au conseil d’administration et sur les responsabilités qui lui incombent.

Marie-Christine Lebert, administratrice salariée Worldline - © D.R.
Marie-Christine Lebert, administratrice salariée Worldline - © D.R.

Quel est votre parcours ?

Au travers des processus d’information-consultation et des expertises économiques, on devient familier avec la stratégie et son exécution. Ce sont de véritables atouts pour la contribution de l’administrateur salarié aux CA

Je me suis engagée dans le syndicalisme en 2000, au moment des 35 heures, j’étais informaticienne. Comme j’étais une jeune mère à mi-temps, il a circulé que les temps partiels ne bénéficieraient pas des 35 heures, ce que je trouvais parfaitement injuste. Je voulais que cela change, c’est ainsi que je me suis engagée dans une négociation.

J’ai ensuite été invitée par la CFDT à me joindre au comité d’entreprise, puis j’ai été élue secrétaire. Après quelques années, je suis devenue déléguée syndicale puis déléguée syndicale centrale au sein du groupe Atos, dirigé par Thierry Breton. J’animais un collectif d’une quarantaine de délégués syndicaux et c’est un moment où j’ai été amenée à négocier sur à peu près tous les sujets de la négociation collective, un exercice complexe et passionnant.

Comme je suis une Européenne convaincue, j’ai été à l’origine de la mise en place du Comité d’Entreprise Européen du groupe Atos, dont j’ai été secrétaire, actrice engagée dans la négociation du texte fondateur et de sa renégociation lorsque l’entreprise s’est transformée en Société Européenne. C’est dans ce cadre que j’ai acquis une connaissance plus complète du groupe, économique, organisationnelle et que j’ai directement dialogué avec la direction générale. J’ai pu compléter une très bonne compréhension de l’économie, du secteur,  de l’organisation et du travail de l’entreprise dans une vision globale. Au travers des processus d’information-consultation et des expertises économiques, on devient familier avec la stratégie et son exécution. Ce sont de véritables atouts pour la contribution de l’administrateur salarié aux conseils.

Nous apportons un regard particulier de l’administrateur salarié au sein du conseil, par notre connaissance du travail, notre sensibilité particulière sur les aspects humains, nous pouvons jouer pleinement notre rôle et enrichir le conseil. Convaincue que la voix des salariés doit être portée au sein même de la gouvernance, j’ai cherché à accélérer la mise en place mais il a fallu attendre que l’obligation légale s‘impose pour réaliser l’objectif.  Je suis alors devenue la première administratrice salariée, en étant désignée par l’organisation syndicale la plus représentative de l’entreprise : la CFDT.

J’ai suivi Worldline, filiale du Groupe Atos, introduite en bourse quelques années auparavant, lorsqu’elle a pris son indépendance avant la fin de ce premier mandat. J’ai donc quitté le groupe Atos et ai été ensuite désignée par le CSE de Worldline, dans un processus d’appel à candidatures ouvert auprès de tous les salariés, pour être de nouveau la première administratrice salariée à siéger au sein du conseil d’administration. J’y ai retrouvé une direction générale bien connue et l’accueil a été naturel.

Comment s’est passée votre arrivée au conseil d’administration ?

Les comités sont les lieux de décisions où se trouvent le plus d’échanges et de débats

C’était particulier. Avant ma toute première réunion de CA au sein d’Atos, j’ai eu un court échange, ouvert, avec le président Directeur Général Thierry Breton. Arrivée en séance, je n’ai pas même été invitée à prendre la parole pour me présenter. J’en suis restée sidérée. J’ai eu le sentiment de ne pas vraiment exister dans ce groupe qui ne me connaissait pas et  que je ne connaissais pas. J’ai pris conscience du chemin à parcourir…

Dès ma première année, j’ai choisi de me former à Sciences Po, dans le cursus IFA « Certificat Administrateur de Sociétés ». Dans le même temps, comme la CFDT a une longue et riche pratique interne de former ses  administrateurs salariés dont j’ai bénéficié, augmenté d’échanges riches avec la communauté des administrateurs salariés. Par ailleurs, j’ai beaucoup lu sur le sujet, pratiquante assidue de l’auto-formation.

Les comités sont les lieux de décisions où se trouvent le plus d’échanges et de débats. Je souhaitais initialement intégrer le comité des rémunérations mais il m’a fallu attendre une année. Un comité RSE a été créé et la vice-présidence m’a été proposée. J’ai accepté, considérant avoir un champ d’action large en matière de RSE, y compris les enjeux d’équité que j’aurais souhaité porter au sein du comité des rémunérations.

Votre mandat actuel d’administratrice salariée diffère-t-il de celui que vous aviez au sein du groupe Atos ?

Être administrateur salarié et exercer une influence demande un travail par étape qui peut se dérouler sur un temps long

Oui c’est différent. Chaque CA est le fruit de personnalités dont les fonctionnements varient. Au sein de Worldline, j’ai pu intégrer le comité de rémunération, à ma demande. J’ai repris les objectifs que je m’étais donnés de travailler sur l’introduction de critères non financiers dans la rémunération des dirigeants. Au sein d’Atos, j’ai travaillé pour la mise en place de critères tels que les indicateurs d’audit social d’outils comme celui de Great place to work qui a pour seul mérite d’être l’unique outil déployé sur le Groupe. Cet audit a été présenté pour la première fois au conseil.

Cela relevait de la première étape et je n’ai pas eu le temps de voir la suite. Être administrateur salarié et exercer une influence demande un travail par étapes qui peut se dérouler sur un temps long. Aujourd’hui, je poursuis mes travaux au sein du CA de Worldline et je contribue aux changements dans la direction que je cherche à prendre.

Quels sont les défis principaux du mandat d’administrateur salarié selon vous ?

Dans un groupe très actif en projets stratégiques et structurants, l’activité du conseil est volumineuse et s’inscrit dans un rythme soutenu

Les défis sont nombreux.

La première difficulté est de pouvoir s’insérer et d’exister dans un groupe qui fonctionne en mode apport de compétences individuelles plutôt que collectif.

Au sein du conseil d’administration, être un acteur comme les autres le plus rapidement possible dépend de :

  • La qualité de l’intégration et l’accueil qui vous est réservé ;
  • La connaissance des différents acteurs autour de la table et du fonctionnement de la gouvernance.

J’ajoute que la formation est absolument nécessaire, avant même le début du mandat. Le renouvellement devrait être préparé longtemps avant l’échéance pour permettre d’arriver formé dès le premier jour.

Il faut ensuite comprendre le fonctionnement du conseil et de ses comités. En effet, les fonctionnements sont variables en fonction des conseils, de leur histoire, de leur structure et des personnalités autour de la table. Il faut intégrer que la défense des salariés que nous portons est celle de tous les salariés du groupe, et non pas des seuls Français ou Européens.

Ma connaissance approfondie de l’entreprise dans toutes ses composantes est élevée, ce qui me facilite la tâche. Mais l’accès aux différents comités, en particulier le comité stratégique, peut rester fermé aux administrateurs salariés, ce qui clairement freine notre action. Il faut du temps et la durée des mandats est courte.

Dans un groupe très actif en projets stratégiques et structurants, l’activité du conseil est volumineuse et s’inscrit dans un rythme soutenu. Il faut beaucoup travailler, il n’y a pas de secret. Ce n’est pas facile car les éléments arrivent tardivement : il faut être agile.

Le rôle de l’administrateur salarié, entre la représentation de la voix des employés devant le conseil d’administration mais aussi de l’intérêt social de l’entreprise, est-il difficile à tenir ?

J’agis pour que les décisions prises soient les meilleurs possibles pour les salariés, dans une recherche d’équilibre par rapport aux intérêts des actionnaires

Oui, rien n’est simple.

Tout d’abord je voudrais dire que je vois ce rôle comme une prolongation de mon engagement syndical. Il est construit sur ce même désir de justice, relié à un attachement à une entreprise que je désire améliorer. J’agis pour que les décisions prises soient les meilleurs possibles pour les salariés, dans une recherche d’équilibre par rapport aux intérêts des actionnaires, bien installés et ceux des dirigeants qui restent alignés sur les seuls intérêts des actionnaires.  

L’intérêt social de l’entreprise est désormais délimité, voire contraint par la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. C’est un point important bien intégré et aidant à introduire de nouveaux sujets au sein des conseils.

Les difficultés de la position d’administrateur salarié résident dans les relations avec :

  • D’une part la direction générale et les autres membres du conseil d’administration ;
  • Et d’autre part son équipe syndicale et la représentation du personnel.

En effet, les décisions prises se font sans consulter l’avis de son équipe syndicale, ou d’instances de représentation du personnel, avec lesquelles nous avons longuement travaillé. Mais il nous reste les valeurs que l’on porte. Les questions de confidentialité, sur lesquelles les directions ont tendance à tout mettre, limitent concrètement les contenus et les partages, y compris avec les salariés envers qui nous sommes redevables.

J’ai parfois le sentiment d’être dans un « entre-deux » et l’isolement dans le mandat est un vrai risque. La présence d’un second administrateur permet des réflexions et travaux communs.

Quelle est votre méthode pour mener à bien une négociation au sein du CA ?

  • Chez Atos, nous avions institué une réunion préparatoire informelle avec le DRH avant chaque conseil d’administration. Ainsi, je pouvais poser des questions de compréhension et partager mes suggestions. C’est un moyen utile et pertinent lorsque vous préparez les négociations ;
  • Ensuite, il faut identifier les autres administrateurs susceptibles de soutenir votre proposition ;
  • Il faut poser beaucoup de questions pour recueillir un maximum d’informations et de compréhension du sujet sur lequel vous souhaitez travailler. Votre argumentaire sera plus précis.
  • Enfin, il faut ne jamais rien lâcher et travailler.

Comment envisagez-vous la suite de votre parcours ?

J’aimerais obtenir un deuxième mandat qui serait celui de l’efficacité après celui de l’apprentissage. Il me permettrait de me fixer des objectifs plus ambitieux et mieux faire connaître mon travail auprès des salariés. Comme l’échéance de mon mandat actuel est en 2022 et que je vais entrer dans un processus de désignation par le CSE, mon parcours d’administratrice risque bientôt de se terminer.