Dialogue social

Philippe Gaborieau (CGT) : « Les accidents et les morts au travail sont des sujets centraux »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Militant à la CGT depuis 1997, Philippe Gaborieau trouve dans son engagement syndical une manière de faire respecter les droits des salariés. En particulier la santé et la sécurité au travail. Impliqué dans le soutien des familles de travailleurs morts au travail, il souligne l’importance de l’accompagnement syndical.

Parcours syndical de Philippe Gaborieau, militant CGT - © D.R.
Parcours syndical de Philippe Gaborieau, militant CGT - © D.R.

Quel est votre parcours ?

  • Je suis d’abord devenu délégué du personnel sans étiquette de 1987 jusqu’en 1997. Par la suite, je suis devenu représentant du personnel au comité central de groupe, toujours sans étiquette.
  • Après une restructuration en 1997, mon entreprise est devenue Eurovia, filiale du groupe Vinci. A ce moment-là, en raison de la fusion de plusieurs entités, un de mes employeurs m’a conseillé de m’affilier à un syndicat, avec trois autres camarades. J’ai choisi la CGT puis j’ai enchaîné de nombreux mandats au CE, au CHSCT, de délégué syndical, etc.
  • Je suis devenu membre du comité de groupe de Vinci et j’ai été élu conseiller prud’homal en 2002.
  • Depuis 2010, je suis également au comité d’entreprise européen.
  • Depuis 2014, je suis membre du comité exécutif de ma fédération.
  • En 2017, je suis entré au bureau fédéral, notamment en charge des questions juridiques.

Comment est née votre fibre syndicale ?

Mon engagement, qui n’est pas d’origine familiale, consiste à me rendre utile aux autres.

Il a commencé quand je travaillais pendant les vacances d’été dans une entreprise qui avait décidé de me rémunérer au noir tout en déduisant les cotisations sociales de mon salaire, ce qui m’a mis en colère.

Après plusieurs petits boulots temporaires, j’ai été embauché dans une entreprise de travaux publics de l’industrie routière, où mon beau-père travaillait et était engagé dans le syndicalisme.

Compte tenu de mes facilités dans l’expression des revendications, je me suis naturellement engagé. 

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CGT ?

Mon adhésion à la CGT se situe dans la lignée de mon engagement communiste, des valeurs de partage, d’humanisme et d’universalisme. 

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

Les familles de victimes demandent à ce que les morts au travail soient davantage mis en lumière.

C’est notamment lorsque j’ai travaillé sur un dossier relatif au harcèlement sexuel d’une salariée de 17 ans. Son agresseur a été condamné au pénal et essayait de se dédouaner : il prétendait ne pas pouvoir payer les dommages et intérêts auxquels il avait été condamné.

Par ailleurs, le sujet des personnes mortes au travail me marque particulièrement. De nombreux accidents du travail ne sont pas déclarés. D’après nos propres estimations, il y a 1 mort par jour dans les métiers du BTP en France.

(ndlr : d’après les données d’Eurostat en 2022, qui produit des informations statistiques à l’échelle de l’Union européenne, la France compte 2,54 morts pour 100 000 travailleurs, tous secteurs confondus, contre 1,77 dans l’UE.)

C’est pour cela que je suis membre du collectif « Familles : stop à la mort au travail ». Avec mes camarades de la Nouvelle Aquitaine, nous avons notamment réussi à mettre en place des stèles commémoratives, en mémoire des victimes d’accidents du travail.

Les familles de victimes demandent notamment à ce que les morts au travail soient davantage mis en lumière par le gouvernement. Elles se rassemblent et prennent contact avec la CGT, ce qui constitue toujours un moment particulier de mon parcours syndical. 

Quels sont vos sujets actuels de revendication ?

Dans nos métiers, nombreux sont les salariés qui sont déclarés inaptes bien avant la retraite.

Le sujet de l’âge de la retraite est prioritaire. J’ai des collègues qui ont pendant 14 ans fait usage d’un marteau-piqueur et qui se retrouvent en mauvaise santé.

Dans nos métiers, nombreux sont les salariés déclarés inaptes bien avant le départ en retraite. Comme ils ne peuvent pas survivre avec le RSA, certains reviennent au travail dans un état de santé lamentable.

Rallonger la durée du travail pour ces personnes est évidemment impossible. C’est pourquoi nous revendiquons le départ à la retraite à 55 ans dans les métiers du BTP.

Les revendications portent également sur les salaires, qui sont très bas dans notre secteur. 

De quelle manière menez-vous des négociations ?

Dans nos sections syndicales, nous misons sur la formation des élus.

Tout d’abord, la base d’une négociation consiste à bien maîtriser et connaître son sujet. Souvent, les personnes dans les RH ont fait des études et connaissent bien les textes de loi. Nous devons faire face. Dans nos sections syndicales, nous misons donc beaucoup sur la formation des élus. 

Par ailleurs, il faut prendre le temps de négocier. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui se produit : les élus sont pressés et les recours à l’inspection du travail sont difficiles, car il y a un manque cruel d’effectif depuis des années. Partout en France, des agents de contrôle ne sont pas remplacés.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

C’est toujours une bonne chose de s’engager. Il faut se rapprocher de l’organisation syndicale avec laquelle on se sent le plus en adéquation et s’engager en misant sur la formation. 

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

Nous déplorons la disparition des CHSCT.

Le changement majeur est celui de la perte des moyens d’action des représentants du personnel. L’action est parfois dénuée de sens.

Par exemple la part prise en charge de l’employeur dans l’achat d’un vélo électrique : c’est bien, mais si les salariés ont un salaire décent, ils n’ont pas besoin d’aide financière.

Par ailleurs, avec la disparition des CHSCT que nous déplorons, le sujet des morts au travail est bien plus important.

En effet, la hausse en France est continue entre 2010 et 2019, avec 2 morts au travail chaque jour.

(ndlr : d’après l’Assurance maladie, on dénombrait 733 morts au travail en 2019, 553 en 2018 et 530 en 2017.)

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non-syndiqués ?

Ces collectifs n’ont ni la structure ni les moyens pour se former.

Je reconnais la bonne volonté de ces personnes se regroupant en collectifs mais elles n’ont ni la structure ni les moyens pour se former. C’est un point problématique pour défendre correctement les droits des salariés.

C’est comme la création de groupe de réflexion sur la mort au travail : l’intention est louable mais cela n’apportera pas de solutions concrètes à ce problème grave. On se donne le sentiment d’agir sans vraiment le faire.