J.-F. Nanda (CFDT/Renault) : « Si les salariés ne se battent pas pour leur emploi, qui le fera ? »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Jean-François Nanda, actuel DSC (Délégué syndical central) CFDT du groupe Renault et militant CFDT depuis 1986, revient sur l’origine de son engagement.
Ancien salarié du groupe Chausson, sous-traitant commun aux groupes Renault et PSA, Jean-François Nanda s’engage d’abord pour préserver son site industriel. Le choix de la CFDT relève d’une quasi-tradition familiale : « beaucoup de membres de ma famille adhéraient à ce syndicat ». Après la fermeture de Chausson en 2010, il a « la possibilité de bénéficier d’une mobilité soit chez PSA soit chez Renault. » Il rejoint finalement Renault. La principale motivation de la poursuite de son engagement « sauver l’emploi » et Jean-François Nanda s’étonne du « désengagement des salariés qui se sentent peu investis sur le champ syndical », même s’il dit « comprendre car cet investissement a des répercussions sur une carrière ». Pour le responsable central de la CFDT Renault : « Si les salariés ne se battent pour leur emploi, qui le fera pour eux ? ».
Souvenir de négociation le plus marquant de sa carrière, l’accord de compétitivité de 2013, particulièrement difficile à négocier : « l’entreprise mettait en balance des fermetures de sites et 6 000 suppressions d’emploi ». Pour « ne plus revivre cette brutalité », l’entreprise et ses organisations syndicales ont opté pour le principe d’un contrat d’activité tous les 3 ans. Première étape, la conclusion d’un accord de méthode signé le 28 juillet 2021 pour encadrer la négociation d’un accord-cadre social pluriannuel. Parmi les volets ouverts à la négociation celui sur la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT), doit être le fer de lance des négociations, selon Jean-François Nanda.
Comment a débuté votre parcours d’élu et de syndicaliste ?
Je suis un ancien salarié de la société Chausson qui fabriquait des véhicules utilitaires à la fois pour Renault et pour PSA. La situation devenait difficile pour l’entreprise qui comptait alors environ 10 000 salariés au milieu des années 80. Au fil du temps, les projets des différents sites ont été retirés pour aboutir à leur fermeture définitive en 2010. Dix ans après avoir commencé ma carrière chez Chausson en tant qu’agent de maîtrise, j’avais la possibilité de bénéficier d’une mobilité soit chez PSA soit chez Renault.
j’ai adhéré à la CFDT en 1986 (…) beaucoup des membres de ma famille adhéraient à ce syndicat
Après quelques entretiens, ma mobilité s’est concrétisée chez Renault. Suite à une sollicitation de mon ami Bernard Massera qui était délégué central CFDT chez Chausson, j’ai adhéré à la CFDT en 1986. Ma préférence s’est toujours portée vers la CFDT, notamment pour des raisons familiales car beaucoup des membres de ma famille adhéraient à ce syndicat. De plus, c’est un syndicat qui met la priorité sur le dialogue social avant la nécessité d’une action.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre engagement, par rapport à ce que vous imaginiez ?
C’est le désengagement des salariés, qui se sentent peu investis dans le champ syndical. Moi-même je peux le comprendre car cet investissement a des répercussions sur une carrière et n’est pas très bien vu par les employeurs. Cependant, lorsque les salariés ne se battent pas pour sauver leurs emplois, qui le fera pour eux ? C’était ma motivation et c’est encore la raison de mon engagement.
Comment sont organisés les CSE chez Renault ?
Chaque établissement a son CSE. L’organisation majoritaire a une légitimité pour revendiquer le poste de secrétaire du CSE. A certains endroits, des alliances se mettent en place car c’est un poste électif. Il peut y avoir des tensions comme dans les établissements Renault où d’autres organisations syndicales sont aux manettes (Le Mans, Siège du groupe, …). Des désaccords sur la façon dont l’accord est mené au niveau national peuvent avoir des répercussions localement. En bonne intelligence, nous pouvons travailler sur les stratégies d’entreprise et sur la politique revendicative d’une part et sur le volet social et gestion du CSE d’autre part. Mais dans l’ensemble, ça se passe plutôt bien, et souvent nous agissons en partenariat avec les organisations locales pour pouvoir travailler dans l’intérêt commun.
Quels sont vos souvenirs de négociation les plus marquants dans l’exercice de votre mandat ?
Mon souvenir de négociation le plus marquant est l’accord de compétitivité de 2013
Mon souvenir de négociation le plus marquant est l’accord de compétitivité de 2013. C’était un accord très difficile à négocier pour toutes les organisations syndicales, là où l’entreprise mettait en balance des fermetures de sites et 6 000 suppressions d’emplois. Ce n’était pas acceptable : il fallait négocier pour préserver l’emploi et les sites industriels en perdant des acquis, des droits sur le temps de travail (comme par exemple des RTT en moins et travailler le samedi). Les sections syndicales avaient une certaine autonomie dans les établissements pour négocier des accords locaux et nous avons tout remis en cause pour centraliser au niveau national. C’était très compliqué d’aller expliquer aux établissements qu’ils allaient perdre leur souveraineté. Il a fallu faire preuve de pédagogie auprès de nos sections syndicales, accompagner ce changement dans chaque établissement, monter en compétence nos équipes sur les enjeux de l’emploi et la préservation de l’activité mais nous avons réussi à converger vers un accord.
Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?
J’ai toujours eu comme principe de préserver une activité professionnelle
J’ai toujours eu comme principe de préserver une activité professionnelle, même si mon mandat est lourd. Aujourd’hui, je suis architecte électricité/électronique des véhicules. J’ai conservé 20 % de mon activité pour avoir une vision de ce qui se fait et de ce que je peux apporter à l’équipe dans le reporting direction. Chez Renault, nous avons négocié une reconnaissance des parcours professionnels militants. Une société extérieure nous a aidés dans cette démarche.
Pour les mandats « lourds », à savoir ceux qui investissent plus de 50 % de leur temps dans le syndicalisme, l’entreprise ne savait pas apprécier les compétences dans le cadre de ces activités. C’est pour cette raison que nous avons ouvert des négociations avec la direction générale, sur des postes comme le mien, les délégués syndicaux centraux, etc. Nous avons alors fait une cartographie des compétences syndicales puis suivant des critères d’évaluation objectifs, nous avons pu créer avec la direction des passerelles entre l’activité professionnelle et l’activité syndicale. A l’issue de cette évaluation, il est possible de faire des formations pour améliorer certaines compétences et continuer sur un poste qui correspond à chacun.
Dans le cadre de la négociation sociale pluriannuelle, vous avez négocié chez Renault sur le projet d’activités de Renault en France et les modalités organisationnelles de la transformation. Où en est cette négociation aujourd’hui ? Quels sont ses enjeux ?
Comme je fais partie des personnes qui ont négocié l’accord de compétitivité de 2013, nous ne voulions plus revivre cette brutalité. Nous sommes convenus avec la direction de faire un contrat d’activité tous les 3 ans. L’entreprise, comme de notre côté, faisons remonter les difficultés liées aux salariés, à l’activité des sites ou à la cartographie des compétences. Pour ce travail de négociation, nous avons confronté nos remontés terrain aux indicateurs de l’entreprise. Nous avons constaté que des compétences P1CS Agent de production Renault (APR) étaient bloquées, et qu’il nous fallait aborder un volet relatif à la reconnaissance au travail.
chaque négociation commence avec des groupes de réflexion paritaires
Le principe de chaque négociation commence avec des groupes de réflexion paritaires (GRP), auxquels les directeurs participent également. Sur chaque secteur, ils nous font part de leurs projections sur les 3 années à venir, leurs besoins, comment ils comptent évoluer. Ensuite, nous interpellons nos équipes locales et nous élaborons des contre-propositions. Nous trouvons des points de convergence grâce à un accord de méthode. Cet accord permet de lister les thèmes de la négociation, nous donne les moyens et le temps nécessaire ainsi que le calendrier de la négociation. C’est ce que nous sommes en train de faire.
Sur quels sujets portent ces négociations actuellement ?
La négociation actuelle porte sur 4 volets :
- La réduction d’effectifs, car la stratégie de l’entreprise ne se focalise plus sur le volume mais sur la valeur. L’entreprise veut aussi redimensionner l’ingénierie, ce qui nous inquiète beaucoup, car nous avons besoin de compétences chevronnées dans l’évolution de la transformation profonde que subi le monde automobile (véhicule électrique, connecté et autonome) ;
- L’organisation du temps de travail : pour ce sujet, la négociation locale doit prendre la main, car les besoins de chacun ne sont pas les mêmes ;
- Des embauches, la reconversion des compétences, les mobilités avec une Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP) dynamique, de qualité et de proximité ;
- La reconnaissance du travail et des compétences acquises, la protection sociale et la qualité de vie et conditions de travail (QVCT).
Quels sont vos objectifs dans cette négociation ?
Le dialogue sur la QVCT est le fer de lance de la CFDT Renault. Pour cela, il a fallu impliquer les salariés sur leurs pratiques, surtout les écouter et leur donner les moyens pour agir et améliorer leur travail. Nous avons mené deux expérimentations sur le site de Flins (Yvelines) et sur l’ingénierie avec l’aide d’universitaires du CNAM. Grâce à ce travail, nous avons maintenant suffisamment de recul et de la matière pour aborder la QVCT prochainement.
Compte tenu des délais très serrés imposés sur ces négociations, nous allons redéfinir un calendrier. Les sujets relatifs à la QVCT vont commencer en 2022, ceux sur la protection sociale aussi. Concernant la reconnaissance, il faut travailler dès deuxième semestre 2022 sur la méthode de déploiement de la nouvelle classification en bonne intelligence et de façon paritaire chez Renault. Profiter de cette opportunité pour réajuster les parcours métier et les évolutions de carrière des salariés. Je suis optimiste car nous parvenons à construire un véritable dialogue et même à nous mettre d’accord sur des points de convergence.