Dialogue social

Béatrice Clicq (secrétaire confédérale FO) : « Indispensable de revoir la copie du dialogue social »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire confédérale FO, conseillère du Cese, Béatrice Clicq aborde sa vision de l’évolution des mandats des représentants du personnel, pour qui « il est plus que jamais nécessaire de se former pour maîtriser les sujets à négocier et d’être autant que possible sur le terrain ».
Pour CSE Matin, elle revient également sur le dialogue social chez Orange et sur sa passion pour la négociation collective.

Béatrice Clicq, secrétaire confédérale FO - © D.R.
Béatrice Clicq, secrétaire confédérale FO - © D.R.

Comment est née votre fibre syndicale ?

Dès mon plus jeune âge, je voulais m’investir pour la collectivité : j’étais déléguée de classe, je faisais déjà des pétitions quand il y avait des problèmes à la cantine. Plutôt que de me plaindre, j’ai rapidement eu envie de trouver des solutions.

Lorsque j’ai intégré France Télécom en 1997, dans un centre d’appels, il y avait une forte culture de la présence syndicale, tout à fait naturelle compte tenu de son passé d’administration. J’ai eu l’occasion d’échanger avec des représentants syndicaux au sujet des horaires des salariés, pour qu’ils correspondent mieux aux flux de clients. C’est lorsque je leur ai exposé mes idées qu’ils m’ont proposé de les rejoindre.

Quels ont été vos différents mandats ?

  • En 2005, lors de l’instauration des instances représentatives du personnel, j’ai été élue déléguée du personnel, membre du CHSCT et j’étais déléguée syndicale pour toute mon unité de services commerciaux sur 7 départements. Vu le nombre de sites, cela multiplie également le nombre d’instances et j’avais une quinzaine de délégués du personnel dans l’unité dont j’étais en charge. C’était une très bonne expérience où j’ai beaucoup appris.
  • En 2007, on m’a proposé d’être suppléante au CHSCT au niveau national d’Orange. Nous avons ensuite été confrontés à l’explosion des cas de suicides dans l’entreprise [nldr : 35 suicides y ont été dénombrés entre 2008 et 2009]. La fédération m’a demandé de faire partie de ce que le jargon appelle les « négociations stress » sur le sujet, qui ont duré presque 2 ans.

Comment avez-vous réussi à trouver un équilibre entre votre vie syndicale, vos différents mandats et votre vie personnelle ?

Lorsqu’il a fallu renouveler l’équipe des délégués centraux en 2010, on m’a proposé de devenir déléguée central adjointe. Cette année-là, j’étais en situation de famille monoparentale avec 2 filles de 6 et 8 ans à Toulouse. L’organisation était assez complexe entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle, avec 3 jours à Paris et 2 jours à Toulouse.

Une fois arrivée à la fédération en tant que déléguée centrale adjointe, j’ai commencé par la négociation sur l’articulation entre vie privée et vie professionnelle, l’égalité professionnelle et le handicap. En même temps, je poursuivais mon activité au CHSCT national en tant que représentante syndicale.

Petit à petit, les dossiers que l’on m’a confiés se sont amplifiés, comme les accords intergénérationnels, l’accord salarial, sur le numérique et la charge de travail. En 2018, je suis devenue secrétaire confédérale en charge du secteur environnement et développement durable, qui comprend également des sujets comme l’égalité professionnelle, la lutte contre les discriminations, l’organisation du travail. J’ai ainsi mené les négociations interprofessionnelles avec le patronat sur le télétravail en 2020.

Sur l’économie sociale et solidaire, nous venons de signer un accord sur l’impact numérique sur l’emploi et les conditions de travail. Enfin, depuis mai 2021, je suis conseillère au CESE.

Cela fait beaucoup de casquettes à porter en même temps.

Quelle est votre méthode pour mener à bien les négociations ?

Les négociations et le CHSCT sont les 2 domaines que je préfère, car c’est là où j’ai le sentiment de faire bouger les lignes

Les négociations et le CHSCT sont les 2 domaines d’action que je préfère, car c’est là où j’ai le sentiment de faire bouger les lignes. Dans les négociations, ce qui est le plus intéressant, c’est de créer un collectif avec un groupe de négociateurs dont les profils sont variés et d’essayer d’aller toujours plus loin, sur des axes différents. Cela permet d’être plus innovant.

Une fois l’équipe montée, nous décortiquons l’accord pour cibler les points à améliorer. Juste avant la négociation, j’organise une journée consacrée aux demandes les plus ambitieuses, comme si nous n’avions pas de freins. C’est de cette manière que nous élaborons un cahier revendicatif.

Pour l’accord de 2015 chez Orange, cette liste nous a permis de racheter 4 trimestres de cotisations de retraite pour les femmes ayant interrompu leur carrière pendant plus d'1 an pour avoir des enfants. C’était assez innovant, cela ne se voit pas beaucoup dans les autres entreprises.

Par ailleurs, nous avons négocié des jours d’absence pour les parents d’enfants handicapés, ce qui va plus loin qu’un accord uniquement destiné aux salariés handicapés.

Quelles sont les négociations les plus marquantes dans votre parcours ?

L’égalité étant un sujet transversal, nous avons négocié pour qu’il soit inscrit dans tous les accords chez Orange

Toutes les négociations me passionnent. Si je dois en choisir une, ce serait l’égalité femmes-hommes que j’ai pu renégocier à 3 reprises sur 9 années.

Lors de la première négociation, il n’y avait que des femmes dans les organisations syndicales autour de la table, hormis le directeur. J’ai donc monté une équipe de négociateurs, avec 2 femmes et 2 hommes, ce qui permettait d’élargir le sujet, par exemple sur la parentalité, qui concerne aussi bien le père que la mère.

L’égalité étant un sujet transversal, nous avons négocié pour qu’il soit inscrit dans tous les accords chez Orange.

En tant que membre du CHSCT de l’époque, comment avez-vous vécu la crise des suicides chez Orange (ex France Télécom) ?

L’entreprise est longtemps restée dans le déni

L’entreprise est longtemps restée dans le déni, ce qui a rendu les choses très difficiles à vivre. Nous faisions remonter les situations au niveau du CHSCT national et nous n’obtenions qu’une fin de non-recevoir, la direction considérant qu’il ne s’agissait pas d’accidents de travail.

J’ai vécu cette situation comme une course contre la montre : le plus dur était d’apprendre qu’un nouveau suicide avait eu lieu. Dans nos négociations, nous cherchions le moyen pour que les salariés se sentent à nouveau bien dans leur travail, de leur redonner confiance.

Nous avons ainsi obtenu des accords, notamment sur :

  • L’organisation du travail ;
  • L’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ;
  • Une plus grande proximité des représentants du personnel.

Comment voyez-vous l’évolution des IRP après les ordonnances de 2017 ?

Le fait d’avoir des CSE immenses et d’avoir retiré les CHSCT est négatif pour tout le monde

Il est indispensable de revoir la copie du dialogue social. Le fait d’avoir des CSE immenses et d’avoir retiré les CHSCT est négatif pour tout le monde :

  • Pour les militants, qui ont moins de moyens mais plus de sites à gérer, il leur est plus difficile de remplir leur mission. Cela leur demande un investissement personnel, en plus des heures de délégation ;
  • Pour les salariés, moins bien défendus, qui sont également les perdants de cette situation ;
  • Pour les entreprises : les organisations syndicales étant très bon baromètre social, elles jouent le rôle de lanceur d’alerte mais sont beaucoup moins sur le terrain. Les entreprises peuvent donc passer à côté de problématiques susceptibles de s’aggraver.

C’est pourquoi FO ne fait que demander le retour des CHSCT. Il est plus que jamais nécessaire aux élus de se former pour maîtriser les sujets à négocier et d’être autant que possible sur le terrain.