Karine Rieux (CFE-CGC) : « Dans l’engagement syndical, il faut oser innover contre le sexisme »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Référente de CSE contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, élue de CSE et déléguée syndicale CFE-CGC Orange, Karine Rieux trouve dans son engagement syndical une manière de contribuer à une meilleure justice sociale. Elle revient sur son parcours et livre ses réflexions sur la prévention contre les violences sexistes et sexuelles qu’elle mène pour l’instance de son CSEE.
Quel est votre parcours ?
Cela fait plus de 25 ans que je travaille chez Orange. J’ai démarré comme responsable de la communication interne dans l’entreprise. J’ai exercé cette fonction pendant une dizaine d’années dans différentes entités. Ensuite, j’ai travaillé dans la communication externe, le marketing puis chef de projet pour des offres sur mesure dans le domaine Entreprises.
En 2017, j’ai obtenu mon premier mandat en tant qu’élue titulaire au Comité d’entreprise. J’étais également déléguée du personnel et membre suppléante au CHSCT, puis titulaire.
L’année 2022 correspond à ma troisième année de mandat de CSE à Orange. J’ai été élue référente dans la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, par l’instance, sur mon périmètre d’établissement. Je suis également déléguée syndicale.
Comment est née votre fibre syndicale ?
Cet incident m’a donné envie de me présenter aux élections professionnelles afin de défendre les salariés, de lutter contre les injustices
En 2017, on m’a proposé oralement un poste avec une évolution de carrière dans une nouvelle entité, une progression de carrière qui m’a été finalement refusée une fois en poste. J’ai vécu cet événement comme une injustice. Ancienne responsable de communication interne, j’ai d’abord tenté de me défendre moi-même. Sur mon site à Toulouse, des collègues élus à la CFE-CGC m’ont alors proposé leur aide que j’ai acceptée.
Malgré cette aide, l’évolution de carrière promise avec la prise de poste n’a pas abouti mais cet incident m’a donné envie de me présenter aux élections professionnelles afin de défendre les salariés, de lutter contre les injustices. A cette époque, la CFE-CGC Orange recherchait activement de nouveaux représentants du personnel. Mon profil de communicante, pour concevoir les tracts et rédiger les articles, les a intéressés.
A travers mes différentes fonctions, j’ai pris conscience que ma carrière avait toujours été animée par l’intérêt porté à l’humain, la défense des droits des salariés et la lutte contre les injustices.
En effet, en tant que responsable de communication interne, il me semblait déjà essentiel d’être au service de mes collègues et de mon entreprise pour :
- Donner les informations nécessaires afin de donner du sens à leur activité professionnelle ;
- Favoriser un bon climat social ;
- Prendre en compte leurs attentes pour optimiser l’organisation.
Ce sont ces aspects que je retrouve dans l’engagement syndical.
Pourquoi avez-vous choisi la CFE-CGC ?
Tout d’abord, j’ai noué un lien de confiance avec les collègues qui m’avaient proposé spontanément leur aide et qui m’avaient accompagnée dans cette période professionnelle difficile.
Depuis que je suis référente, j’ai créé et j’anime un réseau de référents de CSE à Orange. Je travaille avec des référents issus d’autres organisations syndicales. L’enjeu de prévention du harcèlement sexuel et sexiste est porté par tous.
Par ailleurs, la CFE-CGC Orange m’a accordé une totale confiance pour initier des actions au-delà de mon périmètre d’établissement CSE. J’ai ainsi eu carte blanche, même s’il s’agit d’un sujet sensible que nous retrouvons à tous les niveaux de la société. Aujourd’hui je suis la référente nationale pour mon organisation syndicale sur ces sujets.
Quel est le moment marquant de votre parcours ?
Ce réseau nous permet de comparer les stratégies de prévention dans la sphère professionnelle, de s’inspirer des différentes pratiques qui nous paraissent pertinentes
Parmi les actions que j’ai pu mener, elles ont été bien accueillies à la fois par la CFE-CGC Orange mais également par notre confédération. En effet, l’existence de mon réseau de référents de CSE a intéressé la confédération. Elle m’a accompagnée pour l’élargir afin de monter un réseau de référents inter-entreprises. Aujourd’hui, ce réseau nous permet de comparer les stratégies de prévention dans la sphère professionnelle, de s’inspirer des différentes pratiques qui nous paraissent pertinentes.
Ce travail avec mes collègues au sein d’Orange et au-delà de mon entreprise, avec le réseau des référents inter-entreprises, me permet des échanges humains riches et contribue à donner encore plus de sens à mon activité professionnelle.
Quels sont les sujets que vous portez dans vos revendications ?
J’organise des conférences avec l’intervention d’experts externes et internes sur les stéréotypes, la discrimination, une IA responsable et non sexiste
En tant que référente contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, lorsque j’ai proposé ma feuille de route, ma première action a été de prendre contact avec la référente de direction de mon périmètre.
Cette prise de contact a été assez difficile en raison de la méfiance que peut susciter un référent du CSE, vu comme un représentant du personnel avant tout pour la Direction, et du sujet sensible que cela représente pour Orange, avec le passif de l’entreprise avec le harcèlement moral.
Pour Orange, 109 signalements de harcèlement sexuel et violences au travail ont été déposés en 2021, ce qui est peu, comparé à l’effectif total de l’entreprise.
En effet, les violences au travail, notamment les violences sexuelles, sont un sujet sensible et les salariés concernés n’ont pas toujours le souhait de se signaler, de prendre contact avec les représentants du personnel et/ou les membres de la direction.
Aussi, la première action à mener était de présenter ce nouveau mandat aux salariés de mon périmètre, l’importance de ma mission et aussi me présenter, partager mes motivations en tant que salariée et mère. Nous avons ouvert une capsule dédiée sur le site Internet du CSE et une adresse e-mail spécifique afin que les salariés puissent prendre contact avec moi.
Par la suite, j’ai organisé des sensibilisations pour les élus de mon CSE, pour les salariés. J’ai travaillé à la mise en catalogue de deux formations avec l’Institut des savoirs et des talents (IDSET). J’ai créé des supports de communication : un livret, un flip-book, une affiche, un logo… des supports pour faire connaître la communauté de salariés qui voyait le jour.
A mes débuts, j’ai aussi contacté les référents CFE-CGC Orange des autres périmètres d’établissements pour échanger sur nos différentes pratiques et expériences. Nous avons très vite élargi ce réseau aux référents issus de toutes les organisations syndicales. Il était évident pour nous que la mission du référent de CSE dépassait toute étiquette.
Aujourd’hui, nous menons ensemble plusieurs actions :
- Partage sur notre expérience, mutualisation de nos forces en menant des actions communes auprès de nos collègues, de la direction ;
- L’animation d’une communauté sur le réseau social interne de l’entreprise (Plazza), ouvert à tous les salariés d’Orange. Chacun peut participer à la sensibilisation, poster des informations, poser des questions…
Au travers de la communauté « Ensemble contre le sexisme », nous réalisons des sensibilisations avec le recours à la réalité virtuelle, en partenariat avec Orange Innovation School, une entité de l’entreprise afin de former les salariés sur les violences sexistes ou sexuelles, sur ce que dit la loi et sur les actions possibles.
En tant que témoin, par exemple, nous avons tous un rôle à jouer, nous devons savoir comment agir. J’organise des conférences avec l’intervention d’experts externes et internes sur les stéréotypes, la discrimination, une IA responsable et non sexiste.
Grâce à toutes ces actions, la direction s’est peu à peu ouverte à l’échange. Notre communauté de salariés est sponsorisée au plus haut niveau d’Orange, le COMEX, avec la directrice exécutive de la RSE, Diversité, comme marraine.
De quelle manière menez-vous des négociations ?
Les référents contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ne disposent d’aucun moyen pour mener à bien leur mission de prévention. Une formation est néanmoins prise en charge par l’employeur mais c’est la seule chose que la loi impose
Il faut noter que les référents contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ne disposent d’aucun moyen pour mener à bien leur mission de prévention. Une formation est néanmoins prise en charge par l’employeur mais c’est la seule chose que la loi impose. Il n’y a ni heures de délégation dédiées, ni moyens de déplacement prévus. Seule mon organisation syndicale me donne les moyens d’agir dans cette mission avec un crédit d’heures, des formations supplémentaires pour ma montée en compétences.
Les référents travaillent sur les trois domaines de la prévention (primaire, secondaire et tertiaire) et non sur la négociation.
C’est en tant que déléguée syndicale, avec mes autres collègues délégués, que j’ai pu intervenir et négocier de réelles avancées sur ce sujet, lors de la renégociation de l’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, signé en décembre 2021.
A cette occasion, j’ai demandé davantage d’engagement et d’actions de la part de la direction. Nous avons ainsi obtenu un accord sur :
- Une meilleure communication de l’entreprise, notamment la mise en visibilité des coordonnées des référents de CSE sur l’intranet, plutôt que sur un panneau d’affichage ;
- La refonte d’une formation proposée par l’entreprise, inacceptable pour nous, les référents de CSE, tant cette formation mettait la personne victime en situation de double peine.
Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?
Le syndicalisme ouvre de nombreuses portes par la montée en compétences
Je lui dirais que mon engagement donne du sens à mon activité professionnelle. Qu’il faut oser prendre des initiatives, créer ce qui n’existe pas encore pour le bien commun des salariés.
Pour ma part, cela m’a permis :
- d’élargir mon expertise dans le domaine juridique (droit du travail, droit pénal) ;
- de nouer des relations humaines encore plus riches ;
- d’ouvrir un champ d’action à Orange et au-delà de mon entreprise.
Le syndicalisme ouvre de nombreuses portes par la montée en compétences : il permet de se former à des domaines d’expertise aussi intéressants que variés et de contribuer au mieux-être des salariés, d’être utile.
Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?
Mon engagement est récent, avec une période d’exercice importante pendant la crise sanitaire, il est donc difficile aujourd’hui de me prononcer sur ce sujet.
Toutefois, je me rends compte que les nouvelles organisations de travail, notamment avec le télétravail, se sont fortement développées depuis la pandémie. Elles impliquent une modification dans nos relations avec les salariés. Notre présence à leur côté doit être d’autant plus forte avec l’éloignement géographique.