Dialogue social

Dialogue social : le paritarisme va-t-il disparaître ? Focus sur le Grand rendez-vous de l’Ajis

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Quelle issue est possible pour la négociation sur le « pacte de la vie au travail » ? Lors du Grand rendez-vous de l’Ajis (Association des journalistes de l’information sociale) du 20 mars 2024, 8 représentants d’organisations syndicales et patronales ont échangé sur leurs stratégies et leurs perspectives.

Dialogue social : le paritarisme est-il en danger ? (Grand rendez-vous de l’Ajis, 20 mars 2024) - © D.R.
Dialogue social : le paritarisme est-il en danger ? (Grand rendez-vous de l’Ajis, 20 mars 2024) - © D.R.

Les participants au débat

Les organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) et patronales (Medef, U2P et CPME) ont participé à ce débat le même jour que la 12e réunion de négociation pour « un nouveau pacte de la vie au travail » :
• Marylise Léon (CFDT),
• François Hommeril, président de la CFE-CGC,
• Cyril Chabanier, président de la CFTC,
• Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT,
• Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière,
• François Asselin, président de la CPME,
• Patrick Martin, président du Medef,
• Michel Picon, président de l’U2P.

Sur la négociation sur le « pacte de la vie au travail »

François Hommeril, président de la CFE-CGC

  • « La négociation ne répond pas aux enjeux. C’est pourtant l’une des plus importantes depuis des années. Et cela, en raison d’une démission du Gouvernement qui aurait dû s’impliquer plus fortement sur l’emploi des seniors notamment. Il aurait dû être plus incitatif en termes d’objectifs à atteindre.
  • Mais la négociation n’est pas terminée, nous avons bon espoir que le patronat nous fasse des propositions constructives. »

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

Elle relève une double difficulté :

  • « un Gouvernement qui fait les choses à l’envers en imposant d’abord une réforme violente sur les retraites et qui, ensuite, s’interroge sur les possibilités de travailler deux ans de plus.
  • Le patronat peine à prendre ses responsabilités : il doit permettre aux seniors de travailler deux ans de plus. »

Du côté des seniors, elle observe « une triple peine » :

  • « Travailler deux ans de plus ;
  • Ils sont les premiers licenciés ;
  • Le Gouvernement promet de durcir les règles de l’assurance chômage comme si le fait de baisser les allocations chômage allait mécaniquement augmenter le taux d’emploi des seniors. »

« La CGT souhaite trouver un accord, car ce sont des dispositions très importantes pour des millions de personnes. »

Sophie Binet soulève 4 points jugés clés :

  • « La question de la prévention de la pénibilité et de départs anticipés avec des obligations de négociation dans les branches sur ces éléments-là,
  • La question des aménagements de fin de carrière avec un temps partiel de droit pour les seniors avec des cotisations temps plein.
  • Dans ces aménagements de fin de carrière la possibilité d’avoir une retraite anticipée avec cotisations temps plein.
  • Il faut aussi des sanctions pour les entreprises qui ne jouent pas le jeu. »

Cyril Chabanier, président de la CFTC

Il ne se montre guère optimiste en cette fin de négociation. Pourtant, de son point de vue, elle est très importante sur 3 thématiques essentielles :

  • emploi des seniors, 
  • CETU,
  • usure professionnelle et reconversion.

  • « Former voire reconvertir un nombre très important de salariés, c’est ce qui nous attend dans les années à venir. Il faut donc y travailler. Aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose de concret dans l’accord.
  • Sur les reconversion, nous avons un projet qui diminue les droits des salariés (comme l’entretien professionnel qui est trop espacé dans le temps).
  • D’autre part, il n’y a ni logique de co-construction dans l’accord ni anticipation. On est loin d’avoir abouti. »

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Elle se dit optimiste sur l’aboutissement de cette négociation et relève également son importance :

  • « Elle est très importante doit répondre à des attentes énormes de salariés qui se sont vus imposer deux ans de plus au travail. Je pense que tout se tient.
  • On ne peut pas traiter la question du chômage des seniors sans traiter de façon plus globale la question de l’emploi des seniors, des parcours professionnels, des reconversions et de la prise en compte de la pénibilité voire le CETU. »

Frédéric Souillot, secrétaire général de Force ouvrière

  • « Avant de parler des retraites, si on avait discuté de l’emploi, des fins de carrière, de la pénibilité, on aurait pu démontrer qu’il n’y avait pas besoin de reculer l'âge de départ à la retraite ou d’allongement de la durée de cotisation.
  • Mais je reste optimiste sur l’issue de la négociation. »

Patrick Martin, président du Medef

Il souligne « qu’il est important d’aboutir sur cette négociation ».

  • « La conclusion d’un accord pourrait entraîner l’homologation de la convention d’assurance chômage. Ce n’est pas neutre dans le panorama actuel. 
  • Il y a eu des interférences gouvernementales qui compliquent la négociation.
  • Sauf sur un point concernant le CETU, il y a la perspective d’un accord. »

Michel Picon, président de l’U2P

La négociation paraît compliquée, car de son point de vue, 3 points sont absents du projet :

  • CETU. « L’U2P souhaite être entendue sur ce point : un socle de ce dispositif doit figurer dans l’accord qui n’apporte pas de charges supplémentaires aux entreprises.
    • Il figurait dans l’agenda social que nous avons co-construit et porté auprès du Gouvernement. Le CETU figure également dans le document d’orientation du Gouvernement.
    • Ne pas y répondre, c’est prendre le risque de laisser la plume au Gouvernement qui écrira dans la loi des dispositions qui peuvent être considérablement préjudiciables pour les petites entreprises. Le CETU est pour nous un sujet d’attractivité. » 
  • Inaptitude professionnelle. « Les petites entreprises ne peuvent pas reclasser les salariés, elles doivent les licencier, ce qui coûte cher. Le risque d’inaptitude est donc un risque pour le recrutement de seniors. Nous souhaitons que l’inaptitude professionnelle soit mutualisée au sein de la caisse AT-MP par exemple. »
  • Reconversion professionnelle. « Nous souhaite enrichir le projet d’accord sur ce point. »

Sur la gestion paritaire

Patrick Martin, président du Medef

Patrick Martin assure qu’il a « un attachement viscéral au paritarisme de négociation et de gestion. Et ce, sans ambiguïté ».

  • « Si l’on parle de paritarisme de gestion, nous assurons par les régimes 235 milliards d’euros de prestations par an : Agirc-Arrco, Unédic, Groupes de protection sociale.
  • Imaginez que, par dogmatisme, nous confions l’intégralité de ces régimes à l'État dont je n’ai pas vérifié à ce jour l’efficacité gestionnaire, cela me paraîtrait économiquement aberrant.
  • On ne sait pas qui sera aux manettes du pouvoir demain. Pour les salariés, cela pourrait être fatal que l'État ait les clés du camion.
  • Enfin nous sommes les mieux à même, salariés et employeurs, pour savoir ce qu’il faut faire s’agissant du monde du travail et de l’entreprise. »

Il poursuit : 

  • « Si l'État va au bout de ses menaces, on se doit d’avoir un plan B et un plan C.
  • Pour l’Unédic à laquelle nous sommes attachés, pourquoi ne pas réfléchir à un régime de base fondé sur la solidarité et à un régime assurantiel à la main des partenaires sociaux, sous réserve que nous nous accordions sur une règle d’or sur la durée ? »

« Le paritarisme que certains veulent faire passer pour une vieillerie inefficace est en réalité un gage de modernité et d'équilibre des pouvoirs. À nous d'être efficaces dans la gestion des régimes sociaux et, jusque-là, nous n’avons pas à rougir. On ne doit pas se laisser enfermer dans cette caricature d’un paritarisme ringard », déclare-t-il.

François Asselin, président de la CPME

  • « La négociation est complètement dévoyée parce qu’il y a un passager clandestin qui s’appelle l'État. On a laissé faire. En 2019, on aurait pu engager une négociation sans attendre la lettre de cadrage sur l’assurance chômage, mais on l’a attendue.
  • Si on veut garder la main sur l’Unédic, il va falloir faire la part des choses, entre ce qui est du champ de la solidarité et ce qui relève de l’assurantiel.
  • On ne pourra pas faire autrement si on veut garder la main sur le régime. En arrière-plan, c’est l'état des finances de l'État qui est catastrophique. C’est ce qui pèse sur tous les sujets de négociation. L’agric-Arrco est l’exemple même de la gestion paritaire qui fonctionne bien. Il va falloir la garder. »

Michel Picon, président de l’U2P

A propos de la gestion paritaire, Michel Picon déclare « en avoir marre de négocier avec un pistolet sur la tempe ».

  • « Cette menace récurrente consistant à nous dire que l'État va récupérer l’assurance chômage perturbe la sérénité des débats.
  • Nous avons envie d’aboutir pour qu’au bout du compte, l'État reste à sa place et laisse en paix la gestion paritaire.
  • Mais, pour cela, il faut être tous responsable en faisant un pas un peu plus grand vers l’autre que ce qui a été fait jusqu'à présent. »

François Hommeril, président de la CFE-CGC

François Hommeril estime que le Président de la République Emmanuel Macron « fait tout pour décrédibiliser le résultat de la négociation ».

  • « Je ne pense pas que le patronat négocie un révolver sur la tempe.
  • Une vraie menace aurait été de lui dire : “On vous donne plus de 200 milliards d’euros d’aides par an, on va peut-être vous en retirer un peu. Nous, ce qu’on demande, ce n’est pas de vous retirer des aides, c’est qu’elles soient conditionnées”.
  • Pour qu’il y ait une bonne négociation, le Gouvernement doit équilibrer les rapports de force. Il aurait fallu qu’il dise : “Si les entreprises n’obtiennent pas des résultats chiffrés en matière d’emploi des seniors, je vais conditionner les aides”. Dans ce cas, on n’aurait pas tout à fait la même négociation. »

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT

  • « Tout le problème de cette négociation, c’est qu’un mauvais génie plane au-dessus.
  • Le Gouvernement laisse flotter la menace qu’en cas d’absence d’accord, il reprendra la main sur l’assurance chômage pour nous forcer à conclure un accord a minima, alors que des questions traitées sont centrales.
  • Je m’interroge sur l’intérêt qu’ont certaines organisations patronales à conclure un ANI.
    • En effet, elles pourraient être plus intéressées de négocier en direct avec le Gouvernement,  au regard des annonces faites. 
    • Elles ne sont pas forcément attachées comme avant au paritarisme, comme en atteste la non-signature Agirc-Arrco par certaines d’entre elles. C’est ça la difficulté de cette négociation. »

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