Laurent Escure (Unsa) : « Mon engagement prend sa source dans la solidarité »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Secrétaire général à l’Unsa depuis 2019, Laurent Escure a le goût pour l’action syndicale, avec ses valeurs de solidarité et d’accompagnement. Il évoque son parcours syndical et fait part de ses réflexions les principes d’une bonne négociation, les salaires et le pouvoir d’achat.
Quel est votre parcours syndical ?
- De 1993 à 1996, j’étais étudiant militant et trésorier national de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) ;
- De 1996 à 1998, j’étais militant dans une association de prévention du VIH, où je formais des relais de prévention de proximité auprès des jeunes de quartiers sensibles à Toulouse, Grenoble et Caen ;
- En 1999, je suis devenu professeur des écoles à Toulouse, au Mirail ;
- De 2002 à 2007, j’étais responsable local dans les Pyrénées de ma fédération Education à l’Unsa ;
- De 2007 à 2012, j’étais secrétaire national du Syndicat des enseignants (SE-Unsa) et sur la même période, secrétaire général du Comité national d’action laïque (Cnal) ;
- De 2012 à 2018, j’étais secrétaire général de la fédération Unsa Éducation, qui est la fédération historique du syndicat ;
- En 2019, je suis devenu secrétaire général.
Quel est le moteur de votre engagement ?
J’ai toujours été sensible aux valeurs de liberté et j’ai toujours eu le goût pour l’action syndicale
J’ai toujours été sensible aux valeurs de liberté et j’ai toujours eu le goût pour l’action syndicale avec la solidarité, l’information, le service, l’aide, l’accompagnement et le combat, plutôt que politique. En effet, je viens de Corrèze, une terre de résistance et un bastion des forces sociales pendant la deuxième guerre mondiale. Cela s’est traduit en politique, jusqu’à l’arrivée de Jacques Chirac, qui a su épouser cette culture.
A titre personnel, mon engagement prend sa source en 1986 quand j’étais au lycée, sans adhésion. C’était lors du mouvement de contestation du projet de loi Devaquet, qui avait précipité des centaines de milliers de jeunes dans la rue. Il s’agissait de refuser la sélection par l’argent à l’entrée des universités et que les enfants des classes populaires ne puissent pas accéder aux études. Ce mouvement puissant pour l’accès démocratique aux universités avec, malheureusement, la mort de Malik Oussekine, a finalement conduit Jacques Chirac à retirer ce projet de loi. Cela a été un élément catalyseur de mon engagement.
Il y a eu un autre déclencheur, que j’appelle la « solidarité de la réserve ». Lorsque j’étais étudiant, j’étais parfois intérimaire dans la manutention et je faisais des jobs d’été. Dans la grande distribution, j’avais un collègue qui se faisait harceler par son chef de service. Le terme de « harcèlement » n’était pas encore utilisé à l’époque. Comme je n’étais employé que pour un mois, j’ai attrapé ce chef pour lui dire qu’il n’avait pas le droit de faire ça. Je trouvais inadmissible qu’il n’y ait pas de syndicat dans ce magasin et plus largement de solidarité dans le monde du travail.
Quels ont été vos premiers objectifs lorsque vous vous êtes lancé dans le syndicalisme ?
Il faut montrer que la vie personnelle est conciliable avec la vie syndicale
Lorsque je me suis engagé à l’Unsa, j’ai souhaité rajeunir et féminiser le syndicalisme. Ainsi, mon équipe devait comprendre 7 hommes, moi compris, et 7 femmes mais aussi 7 personnes issues du secteur privé et 7 du secteur public. Pour aboutir à cette parité dans l’organisation syndicale, mon appel à candidatures était assez novateur pour l’époque. Faire un appel à candidatures faisait peur, cela signifiait pour certaines personnes que j’avais du mal à trouver des militants. C’est en fait le contraire : il est plutôt rassurant de chercher les bonnes personnes, aux profils divers.
Dans l’engagement syndical, il est important de ne pas avoir une attitude sacrificielle par rapport à sa vie privée. Je le vois parfois dans les équipes de responsables militants et cela peut être un frein pour donner envie aux jeunes de s’engager et en particulier pour les femmes avec enfants, qui doivent supporter une grande charge mentale. Or il faut montrer que la vie personnelle est conciliable avec la vie syndicale. Chaque niveau d’engagement a ses exigences propres mais il est important de ne pas s’y noyer et de préserver un certain équilibre.
C’est également important pour la seconde carrière des syndicalistes : à la fin d’un mandat, il est plus sûr de ne pas se couper de son métier et de trouver un moyen de valoriser son engagement. Il est difficile de le faire en France, où ce sont les diplômes qui sont le plus valorisés et moins les compétences acquises. En ce qui me concerne, au terme de mon mandat, je redeviendrai certainement professeur des écoles en Corrèze, tout en préservant un engagement local, de type associatif.
Pourquoi avez-vous choisi de vous engager à l’Unsa ?
Nous sommes réunis par une charte de valeurs, liés par un modèle syndical réformiste et combatif
Il y a 3 raisons à cela :
- L’Unsa considère que l’école publique apporte beaucoup à notre pays et constate que cela fait quelques décennies que la massification de l’éducation ne s’accompagne pas d’une véritable démocratisation. En effet, l’école actuelle fabrique surtout une élite, avec une part importante des jeunes générations sortant de l’école avec peu ou pas de qualifications. Un jeune sur six se retrouve avec des difficultés d’accès à l’emploi, ils ont du mal à faire une reconversion parce que leur formation initiale n’est pas suffisamment solide ;
- Ensuite, étant un ancien militant à l’Unef, qui est un mouvement particulièrement politisé avec des affrontements intérieurs, à l’image des partis politiques, je trouvais cela dommageable pour la qualité du débat. Quand je suis arrivé à l’Unsa, j’ai constaté que la manière de faire me convenait mieux : les décisions prises sont votées et non structurées par des tendances ;
- Enfin, l’Unsa étant la « petite dernière » des organisations interprofessionnelles à la cinquième position, elle ne prétend pas avoir les solutions à tous les problèmes. Son fonctionnement est basé sur l’autonomie, une position qui me semblait bizarre au début, mais il offre une grande confiance en nos équipes, au niveau d’une entreprise comme au niveau d’un groupe, de la branche ou d’un ministère. Chacun s’occupe de ses sujets de proximité. Cela ne signifie pas que le désordre règne dans notre organisation : nous sommes réunis par une charte de valeurs, liés par un modèle syndical réformiste et combatif.
Quels sont les moments les plus marquants de votre parcours ?
Au moment de la réforme des retraites de 2019, l’Unsa s’y est opposée tout en cherchant à compenser les points négatifs. C’était un moment syndical exaltant dans le rapport de force.
Quels sont les principes d’une bonne négociation selon vous ?
En négociation, il faut être ouvert au « doute créateur » et non rester sur ses certitudes, car certains aspects d’un sujet négocié peuvent nous échapper
Quand on entre en négociation, il faut garder en tête que l’on doit fabriquer un accord basé sur un compromis. Sinon, ce n’est pas une négociation mais un dialogue de sourds.
Une bonne négociation, c’est aussi le moment où toutes les parties prenantes se donnent pour objectif d’aboutir. Il faut une volonté partagée d’écouter et d’essayer de comprendre ce que veut son interlocuteur. Il faut être ouvert à ce que j’appelle le « doute créateur » et non rester sur ses certitudes, car certains aspects d’un sujet négocié peuvent nous échapper. Les belles réussites de notre pays, telles que la protection sociale, la Sécurité sociale, découlent toujours d’un compromis entre forces sociales et politiques de tous bords.
Quels sont les sujets actuels les plus importants à l’Unsa ?
Dans un contexte d’inflation et de crise sanitaire, je suis convaincu que c’est le moment de favoriser le pouvoir d’achat
Ce sont le pouvoir d’achat et les salaires, des thèmes centraux. Depuis 2008, nous n’avons jamais eu un rapport de force aussi favorable grâce à la situation de l’emploi qui s’améliore. La situation est particulièrement favorable pour obtenir des augmentations de salaire et pas seulement à travers les NAO. Dans un contexte d’inflation et de crise sanitaire, je suis convaincu que c’est le moment de favoriser le pouvoir d’achat.
Ensuite, les sujets relatifs à la qualité de vie au travail et la formation professionnelle sont centraux. La crise sanitaire a fortement révélé une volonté de donner du sens au travail, de remettre en question certaines formes de management. Dans les secteurs en crise d’identité et de modèle, comme la grande distribution ou l’automobile, nous aurons des besoins massifs de reconversions dans les années à venir.
Comment percevez-vous l’évolution des IRP après les ordonnances de 2017 ?
Il y a eu un rétrécissement de ces instances, avec des sujets trop lourds et moins bien traités du CHSCT réattribués au CSE
Il y a eu un rétrécissement de ces instances, avec des sujets trop lourds et moins bien traités du CHSCT réattribués au CSE. C’est aussi un problème de rétrécissement des mandats. Faire tourner les mandats syndicaux part d’un bon sentiment mais dans de nombreuses entreprises, il n’y a même pas d’élections. Il sera de plus en plus difficile de trouver des candidats et les plus motivés auront de plus en plus de mal à se présenter une nouvelle fois.
Concepts clés et définitions : #Syndicat, #NAO ou négociation annuelle obligatoire , #CSSCT (ex CHSCT) ou santé et sécurité au travail