Dialogue social

Sabrina Lebel (CFE-CGC, branche FIECI) : « Le sens du collectif pour un meilleur partage de la valeur »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Élue titulaire au CSE d’EY Advisory et déléguée syndicale CFE-CGE à la branche FIECI (Bureaux d’Études, de l’ingénierie, du conseil, des Études et de l’informatique), Sabrina Lebel aborde son parcours syndical. Elle livre ses réflexions sur le sens de l’engagement et l’importance des sujets relatifs à l’égalité femmes - hommes dans le dialogue social.

Sabrina Lebel, élue au CSE d’EY Advisory et déléguée syndicale CFE-CGE à la branche FIECI - © D.R.
Sabrina Lebel, élue au CSE d’EY Advisory et déléguée syndicale CFE-CGE à la branche FIECI - © D.R.

Quel est votre parcours ?

L’idée était de me sentir moins seule et d’avoir des soutiens juridiques et techniques.

J’ai intégré EY en 2000 à la suite d’un stage de fin d’études. À l’époque parmi les « big five », EY (ex-Ernst & Young) était une PME côté conseil de moins de 300 salariés par rapport aux métiers de l’audit. On avait le sentiment d’être plus une start-up qu’un mastodonte représentatif des métiers du chiffre.

Quand en 2002 que je me suis présentée aux élections professionnelles du comité d’entreprise, j’ai été poussée par le patron de l’activité conseil, Vincent Ramus, qui a considéré que ma formation à Sciences Po, couplée à mon militantisme féministe et une propension certaine à la protestation et la revendication, représentaient des terreaux favorables à un rôle social au sein de l’entreprise. Il ne s’est pas trompé, puisque j’ai renouvelé mon mandat…à 5 reprises.

Au fil des années, l’entreprise a grandi : de 300 salariés en 2000, nous sommes passés à près de 1500 salariés en 2014.

Côté représentation sociale, l’équipe s’est étoffée également. Mais concrètement, le sujet n’a jamais passionné les foules, que ce soit du côté des salariés, avec des taux de participation aux élections allant de faible (entre 12 et 15 % en moyenne) à presque inavouable (7 %) ou de la direction, qui en toute logique patronale, ne se sent pas vraiment tenue d’entrer dans des logiques de négociation avec ses IRP.

Face à ce constat, en 2016, je me suis engagée à la CFE-CGC. L’idée était de me « muscler » à titre personnel, sur mes fonctions, mes devoirs et obligations, de me sentir moins seule et d’avoir des soutiens juridiques et techniques.

Au fil du temps, sur les 10 dernières années, la croissance de l’entreprise s’est poursuivie, jusqu’à arriver en 2023, aux dernières élections, à plus de 2300 salariés.

Cette fois, je me suis donnée pour objectif d’avoir accès aux négociations obligatoires, en me faisant élire comme déléguée syndicale, ce qui a été chose faite, puisque sur 13 élus, nous sommes 5 délégués syndicaux (1 CFDT / 2 CFE-CGC / 2 CGT).

Comment est née votre fibre syndicale ?

Je crois que l’adage « Seul on avance plus vite, mais ensemble on va plus loin » me parle beaucoup.

Ayant été formée aux affaires publiques à Sciences Po, j’ai rapidement été sensible aux sujets d’intérêt général et aux grandes causes.

 Je crois que l’adage « Seul, on avance plus vite, mais, ensemble, on va plus loin » me parle beaucoup. Je suis persuadée qu’il est des sujets en entreprise ayant besoin du collectif, et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est mon principal sujet d’investissement depuis 20 ans. 

En tant que référente en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, les phénomènes du plafond de verre et de l’auto-censure des femmes représentent des sujets sur lesquels je suis très mobilisée.

À titre d’illustration chez EY, la proportion de femmes est à peu près égale aux hommes au moment de leur recrutement puis, au fil des années, la proportion de femmes managers s’érode, pour arriver à moins de 20 % de femmes senior managers. Si on considère les indicateurs de l’index égalité professionnelle femmes-hommes, aucune femme ne figure dans les 10 plus gros salaires de l’entreprise. 

Nous avons d’autres indicateurs qui sont cependant meilleurs dans l’entreprise, tels que l’égalité de traitement au retour d’un congé maternité, auxquels nous sommes attentifs en tant qu’élus. Nous avons accompagné les bonnes initiatives de l’employeur en la matière, comme récemment la mise en place d’un congé de 3 jours pour les fausses couches par exemple.

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CFE-CGC ?

La CFE-CGC étant un syndicat de cadres, cela correspondait à mon profil socioprofessionnel.

Vis-à-vis de mon employeur, je ne voulais pas non plus m’engager dans un syndicat trop « revendicatif » comme la CGT, FO ou Sud, qui ont tendance à avoir une posture anti-patronat. Cela n’aurait pas été très audible. 

Par ailleurs, le fait qu’une femme, Carole Couvert, soit présidente confédérale de la CFE-CGC en 2016, qui est l’année de mon engagement, m’a donné envie d’adhérer à cette organisation.

Surtout, la branche de la FIECI, qui couvre ma convention collective, est celle traitant au mieux les problématiques de ma profession de prestataire de services intellectuels.

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

La période de la crise sanitaire Covid-19 a beaucoup marqué mon parcours syndical, même si cela a paradoxalement induit une assistance aux individus, dans une période où le collectif était prohibé.

  • En effet, il était complexe d’accompagner les salariés en chômage partiel ou technique. Certains étaient en télétravail dans des logements minuscules en région parisienne, ce qui était éprouvant pour eux.
  • Il fallait aider individuellement nos salariés pour leur garantir les meilleures conditions de travail possible, par exemple en leur fournissant le matériel adéquat (fauteuil ergonomique, double écran, etc.).

Force est de constater que, depuis 2020, beaucoup de salariés ont pris goût au télétravail à temps plein. Et encore en 2024, certains ont du mal à revenir au bureau, en particulier ceux ayant été recrutés entre 2020 et 2022. C’est une difficulté pour le consulting, qui est pourtant un métier de terrain.

Quels sont vos sujets actuels de revendication ?

  • Même s’il y a une corrélation entre travail à distance et le bien-être au travail, un cadre est nécessaire.

    Nous souhaiterions signer un accord sur le télétravail. Compte tenu des pratiques observées depuis la période Covid-19, des limites doivent être définies, aussi bien pour l’employeur que pour les salariés. Même s’il y a une corrélation claire dans notre entreprise entre travail à distance et le bien-être au travail, ce que confirme le baromètre trimestriel chez nous, un cadre est nécessaire. En effet, cette manière de travailler a certaines conséquences sur la vie de l’équipe et le niveau d’engagement des collaborateurs.

  • Étant en forfait jour, le temps de travail est un autre sujet d’importance. Il faudrait réfléchir à la semaine de 4 jours par exemple ou à des outils du type compte épargne temps. Nos salariés sont souvent assez jeunes (31 ans en moyenne) et souvent sans enfant. L’obligation qui leur est faite de prendre des congés en période estivale, soit 3 semaines sur une période de 45 jours, est très mal vécue. C’est clairement une cause de non attractivité de nos métiers en général et de notre entreprise en particulier.
  • Nous devons encore faire des progrès en termes d'égalité entre les femmes et les hommes, notamment sur les questions des rémunérations, des primes et surtout de l’accès aux postes les plus élevés au sein de l’entreprise.

De quelle manière menez-vous des négociations ?

Nous utilisons de plus en plus le budget de fonctionnement du CSE pour nous faire assister par des experts.

Comme je pars du principe que l’employeur n’a pas de la volonté de coopérer et de négocier, ma « méthode » consiste à rester franche et sincère.

Par ailleurs, nous utilisons de plus en plus le budget de fonctionnement du CSE pour nous faire assister par des experts dans les sujets un peu critiques, ou sur lesquels nous manquons d’expertise.

Par exemple, nous avons :

  • fait appel à un avocat pour faire une étude sur nos affaires prud’homales ;
  • utilisé bien plus souvent le droit à expertise pour la lecture des comptes, l’analyse de la situation économique et financière, etc.

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

Les salariés sont souvent très individualistes et font peu de cas des préoccupations collectives.

Dans un premier temps, je souhaiterais que davantage de salariés s’intéressent aux instances de représentation du personnel.

Si je prends un exemple concret et qui fait mal : les injustices dans le partage de la valeur produite, c’est-à-dire la différence de sommes reçues par les 150 associés chez EY et les 2300 salariés, est très choquante à mes yeux. Car la richesse est principalement produite par les salariés présents au sein de l’entreprise.

Or les salariés sont souvent très individualistes et font peu de cas des préoccupations collectives. Je recommande donc de retrouver le sens du collectif, s’intéresser à ce que l’entreprise fait ou pas, notamment pour améliorer cette question du partage de la valeur.

Des mécanismes existent, légaux et pour certains obligatoires, mais il faut avoir la volonté d’affirmer et de se mobiliser pour faire avancer les dossiers.

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

La représentativité des organisations syndicales est un peu faible, particulièrement pour les cadres, ce qui est dommage. Pourtant, les enjeux écologiques ou de QVCT concernent tout le monde et devraient mobiliser davantage.

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?

Le poids, le cadre et le formalisme d’une organisation syndicale ne sont pas les mêmes qu’un collectif pour avancer sur certains sujets. Mais toutes les initiatives dans le sens du collectif sont les bienvenues.

Ce n’est pas l’étiquette syndicale qui importe mais la mobilisation. Il est cependant regrettable que le syndicalisme souffre d’un déficit d’image un peu désuète, surtout vis-à-vis des jeunes générations.

Concepts clés et définitions : #CSE ou Comité Social et Économique , #QVCT (ex QVT) ou Qualité de Vie et des Conditions de Travail , #Syndicat, #Budget du CSE