Dialogue social

« Le syndicalisme consiste à servir les autres et non à se servir soi-même » Laurent Berger / CFDT

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire général de la CFDT depuis 2012 et Président de la Confédération européenne des syndicats depuis 2019, Laurent Berger revendique une vision syndicale basée sur des principes de solidarité, de bienveillance et d’écoute.
Retraçant son parcours syndical, il fait notamment part de ses réflexions sur l’importance du travail de proximité dans le dialogue social.

Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT. ©Anne Bruel Infocom CFDT - © Anne Bruel Infocom CFDT
Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT. ©Anne Bruel Infocom CFDT - © Anne Bruel Infocom CFDT

Quel est votre parcours ?

Même si mon parcours militant plaidait pour moi, j’ai une personnalité réservée et je ne me sentais pas légitime pour endosser de si grandes responsabilités

J’ai grandi à Saint-Nazaire. Pendant mes études d’histoire, j’étais surveillant d’externat. Un conflit a éclaté à cause d’une suppression de poste et le représentant de la CFDT nous a aidés. C’est ce qui m’a fait adhérer à la CFDT en 1990.

J’allais régulièrement à l’union locale de la CFDT, puis en 1994, j’ai trouvé un travail de conseiller en insertion professionnelle dans une association. Une collègue secrétaire administrative estimait ne pas être payée au bon échelon. En vérifiant la convention collective, je me suis aperçu qu’elle avait raison et qu’elle devait être régularisée, mais aussi qu’il était possible d’organiser des élections de délégués du personnel à partir de six salariés. Cette collègue et moi-même nous nous sommes portés candidats.

Le soir, nous nous réunissions avec des membres de la CFDT pour travailler sur la pauvreté, la politique syndicale, l’insertion et la problématique de l’inclusion.

Alors que j’allais partir sur un autre poste dans l’insertion, le responsable de l’Union locale m’a proposé de la rejoindre comme permanent.

J’y ai accompagné de nombreuses sections syndicales, des délégués du personnel, des très petites entreprises et des jeunes. Le travail de terrain m’a passionné. 

A l’Union régionale, il y avait une volonté de rajeunir les responsables.

En 2003, j’ai été élu secrétaire général de l’union régionale CFDT, où j’ai noué de nombreuses relations de proximité avec les militants. J’ai alors intégré le bureau national.

En 2008, François Chérèque m’a proposé de le remplacer, ce que j’ai refusé à trois reprises. J’appréciais la qualité de vie à Saint-Nazaire que je ne souhaitais pas quitter. Je suis issu d’un milieu populaire et même si mon parcours militant plaidait pour moi, j’ai une personnalité réservée et je ne me sentais pas légitime pour endosser de si grandes responsabilités. Grâce à l’encouragement de mes camarades militants qui me faisaient confiance, j’ai finalement accepté et j’ai été élu à la Commission exécutive confédérale en 2009.

En 2010, je suis devenu négociateur de la CFDT à l’assurance chômage et sur l’emploi des jeunes.

En 2012, j’ai été nommé secrétaire général adjoint de la CFDT, puis secrétaire général, après la démission de François Chérèque.

En 2014 et 2018, j’ai été réélu secrétaire général.

Depuis 2019, je préside la CES (Confédération européenne des syndicats).

Comment est née votre fibre syndicale ?

Le déclic de mon engagement, ce sont les rencontres qui jalonnent mon parcours

Mon engagement est d’abord familial. Mon père travaillait sur les chantiers et était délégué syndical, un véritable militant de terrain. Quant à ma mère, elle aussi était représentante du personnel et a toujours été une militante féministe acharnée. C’est le bain de valeurs communes dans lequel nous avons été éduqués, moi-même, mes frères, ma sœur, dont deux sont également adhérents à la CFDT.

Le déclic de mon engagement, ce sont les rencontres qui jalonnent mon parcours. En effet, le militantisme se compose de rencontres et de liens humains, cela signifie qu’on se construit avec et par les autres. Je crois à la force du collectif solidaire. En effet, le militantisme se compose de rencontres et de liens humains, cela signifie qu’on se construit avec et par les autres. Je crois à la force du collectif solidaire avec des convictions partagées, du travail en commun, de la bienveillance et de l’écoute.

Quels ont été les moments marquants de votre engagement ?

Le lien avec les militants est crucial pour moi. Ce sont des moments toujours riches et forts car ces militantes et militants font un travail extraordinaire dans leur lieu de travail.

Quels sont les principes que vous appliquez pour mener une négociation ?

Les salariés ne nous demandent pas de devenir les commentateurs de leur situation mais que nous contribuions à l’amélioration de leurs conditions de travail

Sur ce point, notre organisation est très active. Nos militants suivent des modules spéciaux consacrés à la négociation lors de leur formation syndicale. Il existe certains principes à respecter si on veut qu’elle soit efficace :

  • La loyauté des acteurs ;
  • La volonté mutuelle pour aboutir ;
  • La compréhension de son interlocuteur, sur ses limites et ses possibilités ;
  • La construction de ses propres propositions ;
  • Un comportement respectueux et non arrogant ou humiliant. Lorsque votre interlocuteur a fait un pas en avant, il faut toujours reconnaître son effort et la part de compromis qui a été trouvée ;
  • Un sens des responsabilités. Quand on est représentant du personnel, notre rôle ne se limite pas au porte-voix. Les salariés ne nous demandent pas de devenir les commentateurs de leur situation mais que nous contribuions à l’amélioration de leurs conditions de travail. Nous devons ainsi porter des propositions qui se basent sur le vécu réel des salariés, un travail que j’ai toujours aimé faire.

Que conseilleriez-vous à une personne sur le point de s’engager ?

Dans le débat public actuel, au lieu d’être dans l’affrontement des idées, il y a cette habitude de délégitimer, voire insulter, les personnes en désaccord

Un engagement syndical exige beaucoup d’éthique et un sens des responsabilités. Pour ce faire, il consiste à servir les autres et non à se servir soi-même. Cela signifie d’être à la recherche active des améliorations possibles de la vie de ses collègues.

Par ailleurs, je conseillerais de :

  • Se former ;
  • Créer du lien et échanger avec les autres élus ;
  • Se faire respecter en tant que représentant du personnel et considérer que ses interlocuteurs ont également leur part de légitimité. Dans le débat public actuel, au lieu d’être dans l’affrontement des idées, il y a cette habitude de délégitimer, voire insulter, les personnes en désaccord. Or l’art du rapport de force en démocratie sociale ne suppose pas que nous soyons en guerre.

Quelles revendications portez-vous actuellement ?

Ce sont principalement les sujets relatifs :

  • Au pouvoir d’achat ;
  • A la compensation de l’inflation ;
  • Au partage de la valeur dans les entreprises ;
  • Au dialogue social, pour redonner le pouvoir d’intervenir aux salariés dans l’exercice de leur travail sur les sujets qui les concernent, notamment les conditions et la qualité de vie au travail, la reconnaissance ;
  • A l’accompagnement des 5,5 millions de chômeurs en France.

Comment percevez-vous l’évolution des IRP, depuis le début de votre parcours ?

Le droit supplétif créé par les ordonnances est très faible et par conséquent, les représentants de proximité disparaissent. C’est une erreur fondamentale

Nous avons un problème avec les ordonnances de 2017 qui ont constitué un tournant dans le fonctionnement des IRP. Ce sera d’ailleurs le premier thème abordé avec le ministère du Travail. Les représentants du personnel subissent une réduction de leurs moyens d’action et une relation distendue avec les salariés sur le terrain. Le droit supplétif créé par les ordonnances est très faible et par conséquent, les représentants de proximité disparaissent. C’est une erreur fondamentale. En tant qu’ancien délégué du personnel, je sais l’importance de ce travail de proximité, qui conseille sur la formation professionnelle ou sur les grilles de salaire, par exemple.

L’autre erreur des ordonnances est celle de la réduction des moyens des IRP et de ne pas avoir mis en place une commission SSCT dans toutes les entreprises.

Pour faire évoluer ces ordonnances, la CFDT porte une dizaine de propositions.

Cependant, je dis souvent aux militants de ne pas fantasmer le fonctionnement qui existait avant la mise en place des ordonnances, où tout n’était pas parfait. Le dialogue social souffrait déjà d’un désengagement et d’une absence de loyauté de la part des employeurs. Quand le dialogue social est de mauvaise qualité, ils en portent une grande part de responsabilité.

Quelles suites allez-vous donner aux résultats des élections professionnelles des VTC et des livreurs ?

Tout d’abord, il faut noter que le taux de participation à ces premières élections est faible. La CFDT, grâce à son travail de proximité avec l’alliance Union-Indépendants, est la deuxième organisation représentative des livreurs à vélo et des chauffeurs VTC, les sujets que nous avons mis dans la campagne répondent à leurs aspirations.

Ce que je souhaite, et cela va être dit au congrès de la CFDT, c’est la poursuite du travail de proximité avec ces travailleurs souvent exploités dans toutes les grandes villes de France, notamment pour lutter contre les déconnexions abusives ou leur rendre des abris et des toilettes accessibles. Il faut travailler davantage sur leurs droits, sur la représentation collective de proximité et continuer de porter nos revendications à l’échelle européenne.

Comment encourager les branches à augmenter toutes les grilles en-dessous du Smic comme vous le préconisez ?

tout le monde sait que les entreprises perçoivent des allègements de cotisations pour les salariés jusqu’à 1,6 fois le Smic. Si rien n’est fait, il faut soit réduire ces allègements, soit les suspendre soit encore les supprimer

Pour que le bas de grille atteigne le Smic, il faut passer par la contrainte et donner trois mois aux branches pour négocier. Si elles refusent de le faire, il faut les soumettre à un dispositif de conditionnalité d’aides publiques, comme moyen de pression. Les entreprises resteront statiques si on ne passe pas par un dispositif contraignant. Or tout le monde sait que les entreprises perçoivent des allègements de cotisations pour les salariés jusqu’à 1,6 fois le Smic. Si rien n’est fait, il faut soit réduire ces allègements, soit les suspendre soit encore les supprimer.

Il faut également connaître les problématiques spécifiques à chaque branche : certaines refusent de partager la valeur créée, d’autres ont recours à la sous-traitance dans une logique de low cost. Ce sont les salariés de ces secteurs, comme la propreté ou la sécurité qui en subissent directement les conséquences.

La CFDT refuse la retraite à 65 ans. Y aura-t-il une unité cette fois-ci avec les autres organisations syndicales ?

L’unité syndicale me paraît fondamentale pour faire poids dans la négociation. Cependant, il n’y aura unité que si nous sommes tous clairs sur les objectifs. Nous sommes d’accord sur le refus de la retraite à 65 ans mais le statu quo ne serait pas non plus acceptable. Le système actuel est injuste pour les femmes qui perçoivent des pensions inférieures de 37 % à celles des hommes, pour les travailleurs qui ont connu une carrière hachée…

Il faut corriger ces injustices. Nous tenons à faire respecter les nuances d’idées que nous portons sur le sujet des retraites.

Quelle est votre réaction à la décision de la Cour de cassation validant le barème Macron ?

Nous prenons acte de cette décision mais la déception est grande

Nous avons toujours combattu ce barème et nous attendions beaucoup de la décision rendue par la Cour de cassation. Nous prenons acte de cette décision mais la déception est grande.

En effet, ce barème ne permet pas la réparation intégrale des préjudices subis par les salariés et a engendré une baisse du nombre de recours aux prud’hommes. Les personnes victimes d’abus renoncent à exercer leur droit à la défense, ce qui est regrettable et injuste. J’imagine cependant que certains juges aux prud’hommes continueront de sortir du barème.

Concepts clés et définitions : #CSSCT (ex CHSCT) ou santé et sécurité au travail, #Smic ou Salaire minimum interprofessionnel de croissance