Caroline Blanchot (Ugict CGT) : « face à l’adversité, le syndicalisme sait se réinventer »
Par Agnès Redon | Le | Syndicats
Secrétaire générale de l’Ugict CGT (organisation des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT), Caroline Blanchot a succédé à Sophie Binet en 2023. Elle trouve dans son engagement syndical un moyen de faire respecter et d’améliorer les droits des salariés, tout en changeant la société.
Quel est votre parcours ?
- J’ai été embauchée à la SNCF en 2002 en tant que conseillère en économie sociale et familiale.
- En 2003, j’ai adhéré à l’Union fédérale des cadres et agents de maîtrise (UFCM) de la Fédération CGT des cheminots. En 2004, j’ai été élue à la délégation des personnels « médico-sociaux ».
- En 2007, j’ai été désignée administratrice salariée de la nouvelle Caisse autonome de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF.
Cette même année, j’intégrais la direction de l’UFCM-CGT, d’abord en charge de la communication et d’une partie des activités revendicatives, puis comme secrétaire générale adjointe.
- En 2017, je rejoins la direction de l’Ugict-CGT. Je suis par ailleurs élue cadre CGT en CSE à la direction de SNCF Réseau depuis 2019.
- En 2023, j’ai succédé à Sophie Binet à la direction de l’Ugict-CGT.
Comment est née votre fibre syndicale ?
De la prise de conscience, assez rapide, qu’en tant que conseillère en économie sociale et familiale, mes marges de manœuvre pour aider les personnes étaient finalement plus que ténues. J’ai pu constater qu’on pouvait travailler en France à temps plein, tout en ne pouvant toujours pas vivre dignement de son travail.
De plus, le professionnalisme des travailleurs sociaux était perpétuellement remis en cause afin d’homogénéiser les métiers - voire de les standardiser - pour in fine les assujettir à des objectifs strictement gestionnaires.
J’ai eu besoin de dénoncer tout cela en prenant une part plus active dans les luttes.
Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CGT ?
Mon premier poste a été créé suite aux luttes syndicales largement menées par la CGT
La CGT a toujours été le syndicat le plus proche de mes idées et de mes valeurs. Notamment sur des sujets tels que l’emploi, la rémunération, le temps de travail, la retraite et plus largement dans son ambition de construire une société plus juste.
Une société qui permettrait une meilleure répartition des richesses, parce qu’elles sont le fruit de notre travail, tout en exigeant un nouveau modèle de production permettant la sauvegarde de la planète.
Par ailleurs, mon premier poste à la SNCF a été créé suite aux luttes syndicales largement menées par la CGT au moment du passage aux 35 heures [NDLR : sa mise en place remonte à l’an 2000].
La CGT avait défendu et obtenu un important volet emploi en lien avec cette réduction du temps de travail, y compris dans des métiers à forte dominante féminine où les embauches se faisaient au compte-goutte. C’était un juste retour des choses que de prendre ma carte a minima.
Quel est le moment marquant de votre parcours ?
Les logiques de financiarisation des entreprises continuent de conduire à la destruction des acquis sociaux.
Plusieurs faits marquants ont jalonné ma conviction que nous pouvions même à un « petit niveau » combattre les logiques de financiarisation des entreprises, qui continuent de conduire à la destruction des acquis sociaux. Ce fut le cas dès le début de ma carrière, en expliquant simplement dans diverses instances, contrairement aux affirmations de la direction de la SNCF de l’époque, qu’aucune étude de besoins n’avait été faite pour justifier la fermeture d’un centre d’action sociale.
Cela a permis de contraindre l’employeur à réaliser en urgence une telle étude. Compte tenu des conclusions, non seulement la direction a maintenu le centre mais elle a aussi recruté du personnel supplémentaire.
Plus tard, j’ai été co-animatrice du dossier sur le droit à la déconnexion. Nous avons pu obtenir l’inscription de ce nouveau droit dans la loi.
Enfin, j’ai été représentante de l’Ugict au moment de la création de la Maison des lanceurs d’alerte. C’était un temps fort de travail collectif (associations, ONG et syndicats) pour créer un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement pour les lanceurs d’alerte.
Quels sont vos sujets actuels de revendication ?
Le travail est devenu insoutenable pour une large partie des salariés de notre pays.
Il faut repenser le travail, mieux le reconnaître et réduire sa durée hebdomadaire. Le travail est devenu insoutenable pour une large partie des salariés de notre pays. Ce constat, fait au quotidien par l’Ugict-CGT, est désormais amplement documenté notamment par la Dares.
D’ailleurs, le conflit sur les retraites l’a bien mis en évidence. La grande majorité des salariés - et singulièrement les cadres et techniciens - ne se voit pas travailler jusqu’à 64 ans, ni même 62 ans car ils souffrent du travail.
Que ce soit à cause des conditions de réalisation, bouleversées par la révolution numérique, ou de son contenu, aux antipodes des mesures radicales à prendre immédiatement pour faire face à l’urgence climatique actuelle.
L’horizon, ce n’est pas d’allonger toujours plus le temps de travail. Au contraire, c’est de réduire le temps de travail et de repenser son sens et sa finalité en le sortant du carcan de la financiarisation des entreprises, notamment en donnant plus de place aux indicateurs non financiers.
L’horizon, c’est de mettre en place une organisation du travail qui respecte les hommes, les femmes et la planète.
En parallèle, il faut répondre à la baisse tendancielle du pouvoir d’achat des travailleurs qualifiés et notamment des jeunes diplômés. Les chiffres sont inadmissibles : entre la génération diplômée en 1997 et celle diplômée en 2015, le salaire mensuel médian a baissé de 40 euros pour les diplômés de niveau licence 3 et de 200 euros pour les diplômés de master 2 (Céreq, 2019).
Mais ce n’est pas qu’à l’embauche qu’il y a un problème. Tout au long de la vie active, on observe des entraves sur le déroulement de carrière, appelées à se multiplier avec l’apparition de nouvelles conventions collectives, comme celle de la métallurgie, qui ouvrent la porte à toujours plus de polyvalence, d’opacité, et même au risque de voir à moyen terme le salaire révisé à la baisse.
De quelle manière menez-vous des négociations ?
La négociation ne peut se gagner sans s’appuyer sur les revendications des salariés.
Toujours à partir du travail réel, des besoins des salariés et dans l’objectif de gagner de nouvelles avancées. Notamment en mettant au cœur des revendications la question du travail, de ses finalités et de la place des salariés dans son processus.
Pour la CGT, la négociation ne peut se gagner sans s’appuyer sur les revendications des salariés, sur leur adhésion, et leur implication.
Cela passe par des rencontres, des consultations, des webinaires, des flashs infos de négociation et d’autres formes participatives. C’est l’une des conditions pour accroître le rapport de force au profit des salariés, et gagner une véritable démocratie dans l’entreprise.
Le cahier revendicatif CGT lors des négociations doit être co-construit avec les salariés pour qu’ils puissent suivre l’avancée des négociations tout au long du processus.
Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?
Qu’elle a bien raison et qu’elle est la bienvenue. C’est plutôt sain de vouloir s’engager collectivement pour faire respecter nos droits, combattre les injustices et chercher à défendre l’intérêt de tous. Les sujets ne manquent pas et nous ne serons jamais assez nombreux pour tous les traiter efficacement.
S’engager syndicalement, c’est la possibilité de se faire aider ou d’aider les autres, de mieux connaître ses droits, mais aussi de s’impliquer dans la vie de l’entreprise, de mieux comprendre les modèles économiques en place et les enjeux entre rémunération du travail et rémunération du capital.
Ainsi, le syndicalisme offre la possibilité d’un accomplissement et d’un épanouissement personnel, notamment au fil de rencontres de personnalités exceptionnelles.
Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?
La CGT a d’ailleurs été perçue comme une force motrice dans la bataille des retraites
Ces 20 dernières années, le syndicalisme a été entravé par un corpus réglementaire et législatif construit en particulier pour l’affaiblir, aux dépens des salariés voire pour le discréditer.
La loi dite « travail » (2016) a réduit de manière drastique les moyens des organisations syndicales, aboutissant à la fusion des institutions représentatives du personnel et à la mise à l’écart des organisations syndicales dans les négociations. Autant d’attaques contre toute forme de démocratie sociale.
A cela s’ajoute une intensification de l’utilisation du numérique dans les entreprises sans, la plupart du temps, donner un accès aux représentants du personnel à ces nouveaux outils de communication. Voilà qui oblige le syndicalisme à se réinventer.
La dernière bataille des retraites marque une étape décisive en ce sens avec le rassemblement du salariat derrière une unité syndicale historique. La CGT a d’ailleurs été perçue comme une force motrice dans cette bataille et nous pouvons le mesurer à l’afflux des nombreuses nouvelles adhésions que nous enregistrons quotidiennement.
Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?
Leur action est intéressante pour le syndicalisme.
Ces collectifs citoyens ont toujours plus ou moins existé. Ils se mobilisent sur une thématique donnée et ont la capacité de donner beaucoup de visibilité à des sujets de société grâce, notamment, à leur usage des réseaux sociaux.
Leur action est intéressante pour le syndicalisme car ils concourent à mettre en avant des sujets que nous portons le plus souvent tels que la retraite, l’environnement, l’égalité en diversifiant les approches. C’est la raison pour laquelle nous travaillons régulièrement avec plusieurs collectifs.
D’ailleurs, il y a souvent des syndicalistes dans ces collectifs, ce qui montre que ces engagements, au carrefour de l’intervention citoyenne et syndicale, ne s’opposent pas.
On observe ainsi des synergies qui concourent déjà au renforcement du syndicalisme. N’en déplaise aux oligarchies financières, le syndicalisme se rajeunit et a de beaux jours devant lui.
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