Dialogue social

Fabrice Nicoud (CFE-CGC) : « Peu de salariés imaginent l’épanouissement que permet le syndicalisme »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Président de la fédération CFE-CGC de la métallurgie, Fabrice Nicoud revient sur son parcours syndical et livre ses réflexions sur le caractère indispensable des organisations syndicales au bon fonctionnement de la démocratie sociale.

Fabrice Nicoud, président de la fédération CFE-CGC de la métallurgie - © D.R.
Fabrice Nicoud, président de la fédération CFE-CGC de la métallurgie - © D.R.

Quel est votre parcours syndical ?

  • J’ai fait mes premières armes comme élu au CE de l’établissement AIRBUS de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) en 1999. Pendant 6 ans, j’ai assuré la présidence des commissions économie/production et formation professionnelle. Une occasion de beaucoup apprendre sur le fonctionnement de l’entreprise et de la vie sociale.
  • J’ai ensuite été représentant syndical au CE et délégué syndical responsable de la section syndicale de 2005 à 2012.
  • En 2012, je suis devenu délégué syndical central des sections CFE-CGC d’AIRBUS Avions. J’ai également été membre du Comité Européen et président du comité de groupe France
  • En 2015, j’ai choisi une mobilité interne à l’entreprise, de Saint-Nazaire vers Toulouse (Haute-Garonne). Cette même année, j’ai été élu secrétaire national à l’emploi-formation à la fédération CFE-CGC de la métallurgie.
    • Dans cette fonction, j’ai été président du CA de l’OPCAIM de 2016 à 2019, puis trésorier de l’OPCO2I de 2019 à 2021. J’ai activement participé aux négociations de la nouvelle convention collective de la Métallurgie.
    • J’ai été réélu dans cette fonction à la fédération en 2019.

En juin 2023, j’ai été élu président de la fédération CFE-CGC de la métallurgie

Comment est née votre fibre syndicale ? 

Les corps intermédiaires comme les organisations syndicales sont indispensables.

En 1997, je suis arrivé dans l’établissement AIRBUS de Saint-Nazaire où, traditionnellement, l’engagement syndical est fort. En effet, une très large part des salariés était syndiquée. Je suis arrivé dans l’Ouest suite à une mutation induite par un plan social dans une autre filiale travaillant dans l’armement. J’ai donc expérimenté les conséquences pour les salariés d’un PSE.

J’ai toujours été intéressé par la chose publique, la vie politique au sens grec du terme.

Je suis persuadé qu’une entreprise ne peut pas réussir sans ses salariés, et que les corps intermédiaires comme les organisations syndicales sont indispensables au bon fonctionnement de la démocratie sociale de notre nation.

Je voulais pouvoir participer à la vie sociale de mon établissement et mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise.

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CFE-CGC ? 

Il faut être capable de bâtir des compromis entre le progrès social et le développement de l’entreprise.

Dans mon premier emploi, il y avait une section CFE-CGC mais aucun militant n’était venu me solliciter. Je votais donc CFE-CGC car j’avais compris que ce syndicat représentait les personnels d’encadrement qui ont des particularités dans leurs attentes.

Une fois arrivé à Saint-Nazaire, des militants CFE-CGC, passionnants et passionnés, sont venus à ma rencontre. Ils m’ont expliqué les valeurs de la CFE-CGC, le mode de fonctionnement de la section, et l’intérêt de les rejoindre.

Je partageais cette conviction qu’une entreprise ne grandit pas sans ses salariés et qu’il faut être capable de bâtir des compromis entre le progrès social et le développement de l’entreprise. Ensuite, la qualité des militants, leur engagement chaleureux et sincère m’ont encouragé à adhérer.

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

Le moment le plus marquant est mon élection à la présidence de la fédération. Je n’aurais jamais imaginé cette situation quand je suis entré pour la première fois dans une réunion du CE en 1999. Celle-ci m’a aussi marqué car je ne connaissais ni les codes, ni le fonctionnement. 

En raison de mon inexpérience, je ne comprenais pas tout, des postures des uns et des autres, des réponses parfois alambiquées de la direction. Mais j’ai appris très vite.

Ensuite, un parcours syndical - comme un parcours professionnel - est le résultat de compétences personnelles et d’opportunités. J’ai eu la chance que des leaders me fassent confiance, m’encouragent, m’aident à progresser.

Ma prise de parole au congrès de Poitiers en 2015 pour me présenter aux militants et les convaincre de voter pour moi reste un moment fort car c’était la première fois que je m’exprimais devant une assemblée de 600 personnes.

Quels sont vos sujets actuels de revendication ?

Dans la branche de la métallurgie, nous avons négocié pendant plus de six ans une nouvelle convention collective.

La fédération CFE-CGC de la métallurgie soutient les revendications portées par la confédération.

Considérant qu’une organisation syndicale doit constamment proposer pour convaincre, la fédération de la métallurgie s’organise pour bâtir des positions sur des sujets comme :

  • L’industrie verte ;
  • La souveraineté industrielle ;
  • Les conséquences du développement de l’intelligence artificielle.

Dans la branche de la métallurgie, nous avons négocié pendant plus de 6 ans une nouvelle convention collective qui s’appliquera complétement au 1er janvier 2024.

  • La CFE-CGC a été une force de propositions tout au long de ces débats et de nombreuses dispositions portent notre marque.
  • Il s’agit maintenant de s’assurer de la bonne mise en œuvre de ces nouvelles règles dans les entreprises. Certaines, comme les classifications, vont profondément bousculer les habitudes et risquent de conduire à des tensions si elles sont imparfaitement déployées par les RH.

De quelle manière menez-vous des négociations ?

La préparation de la négociation est une des phases les plus cruciales.

Je vais reprendre les 3 conditions d’une négociation réussie, portées par Gabriel Artero, président auquel j’ai succédé à la tête de la fédération :

  • Un diagnostic partagé par tous les acteurs pour que chacun comprenne la situation ;
  • Un intérêt à agir. Tous les acteurs doivent être convaincus qu’il faut faire évoluer la situation ;
  • La confiance. Les acteurs de la négociation doivent avoir une confiance réciproque. Si la suspicion est permanente, les débats tournent vite au pugilat, interdisant les compromis.

Il s’agit donc, dans un premier temps, de faire une analyse précise de la situation et de bâtir des propositions sur le thème en débat. Ce travail exige du temps, d’étude, de collecte d’informations et de construction d’idées nouvelles. La préparation de la négociation est une des phases les plus cruciales.

La confiance exige aussi du temps, en particulier pour bien connaitre les acteurs. Elle se construit lentement et se détruit très vite.

Que diriez-vous à une personne qui s’engage dans le syndicalisme ? 

Le militant syndical a des responsabilités proches de celles d’un dirigeant de TPE.

Faire du syndicalisme permet un épanouissement que peu de salariés imaginent, avant de goûter à ses plaisirs. Ce sont des rencontres avec les salariés pour comprendre leur difficultés, leurs attentes et les traduire en revendications. Ce sont des rencontres avec les RH, les dirigeants pour comprendre les contraintes de l’entreprise et sa stratégie.

Le militant syndical apprend au quotidien sur des thèmes très variés : le droit du travail bien sûr mais aussi l’économie, la formation professionnelle, la santé et la sécurité, et de plus en plus les sujets environnementaux.

Le militant syndical n’est pas décisionnaire dans l’entreprise mais il peut influencer les choix en usant, abusant de son pouvoir de conviction dans toutes les instances paritaires. Quand il participe à la gestion des œuvres sociales d’un CSE, il a des responsabilités proches de celles d’un dirigeant de TPE.

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

Le discours populiste ne favorise pas l’engagement syndical.

Les syndicats comme les partis politiques peuvent disparaitre s’ils n’ont plus rien à dire. La mobilisation sur les retraites a permis de démontrer que les organisations syndicales étaient indispensables pour mettre en exergue les inexactitudes, voire les mensonges du gouvernement. Celui-ci a dû recourir à des moyens institutionnels baroques pour passer en force.

L’augmentation significative des adhérents constatée depuis le début d’année semble montrer que les salariés ont mieux perçu le rôle et l’utilité des contre-pouvoirs que sont les organisations syndicales dans une démocratie vivante.

Dans une société plus individualiste qu’hier, les adhésions à de grands mouvements collectifs sont plus difficiles. Mais il y a beaucoup plus d’adhérents dans les syndicats qu’au sein des partis politiques et le taux de participation aux élections professionnelles est nettement supérieur à la participation des citoyens aux élections politiques.

Il est donc agaçant d’entendre de trop nombreux leaders politiques contester le rôle des organisations syndicales dans la représentation des salariés et ne pas remettre en cause leur propre légitimité démocratique. Ce discours populiste ne favorise pas non plus l’engagement syndical.

Il est aussi de la responsabilité des organisations syndicales de se remettre en question, de mieux répondre aux attentes des salariés, en particulier en termes de services aux adhérents.

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?

Dans les entreprises, les RH doivent comprendre qu’il est dans leur intérêt d’encourager l’engagement syndical organisé.

Certains peuvent être tentés de s’organiser dans des collectifs. Mais, très vite, ils seront confrontés à des difficultés d’organisation. Car, pour traiter des sujets si complexes de notre vie sociale, nationale ou en entreprise, il faut du temps et des moyens.

En effet, les organisations syndicales apportent des expertises juridiques, économiques, sur la formation professionnelle. Ces collectifs devront mettre en place ces moyens pour répondre aux attentes de leurs adhérents car, sinon, très vite, leur utilité et leur efficacité seront aussi contestées. Je ne vois pas pourquoi un collectif serait plus efficace qu’un syndicat.

Un collectif, comme un syndicat, devra :

  • bâtir son organisation et la faire vivre ;
  • construire des propositions et convaincre les salariés et les décideurs ;
  • rechercher des moyens pour perdurer sur le long terme.

Dans les entreprises, les RH doivent comprendre qu’il est dans leur intérêt d’encourager l’engagement syndical organisé car il est plus facile de bâtir des compromis avec des militants, certes pugnaces et revendicatifs, mais formés à la complexité des enjeux.

Concepts clés et définitions : #Syndicat