« Du mépris à la colère, essai sur la France au travail » par Laurent Berger (CFDT)
Par Agnès Redon | Le | Réclamations
« Remettre au cœur de la réflexion la question centrale à partir de laquelle la réforme des retraites aurait dû être pensée : le travail. » Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT qui quitte ses fonctions, livre ses idées dans son livre « Du mépris à la colère, essai sur la France au travail » paru en mai 2023 aux Editions du Seuil.
Percevoir le travail comme un « impensé politique »
- « Le travail est une réalité sociale largement ignorée dans le discours politique, alors que du côté des travailleurs, on entend l’aspiration à la reconnaissance, à l’autonomie, au respect.
- Face à cela, il y a un discours politique de moralisation, comme si les gens ne voulaient pas travailler, ne respectaient pas le travail », évoque Laurent Berger dans son ouvrage.
Le secrétaire général de la CFDT, qui quitte cette fonction après l’avoir occupé pendant 11 ans, cite l’étude de la Dares publiée le 9 mars 2023 et intitulée : « Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail jusqu’à la retraite ? »
37 % des salariés français en 2019 ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des risques professionnels, physiques ou psychosociaux, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d’insoutenabilité du travail.
« Les raisons sont multiples : il y a une grande immobilité sociale, provoquée par le chômage de masse, et, bien sûr en grande majorité, des questions de pénibilité, de corps et d’esprits abîmés. »
Dépasser la vision du travail vue comme « un coût »
Selon l’analyse de Laurent Berger :
« Penser le travail comme un coût revient à abandonner le travail à la seule loi du marché. Cela a des conséquences sur les travailleurs : trappes à bas salaires, logiques de modération salariale à outrance, indemnités prudhommales plafonnées même en cas de faute grave de l’employeur… »
- « Certains patrons rêvent, par exemple, de limiter la possibilité d’annuler des licenciements pour vice de forme, ce qui autoriserait notamment des licenciements par SMS, ou rendraient certains plans sociaux beaucoup plus difficiles à contester ;
- Ces demandes d’allègements du droit ou de la fiscalité s’appuient sur le grand présupposé du patronat, selon lequel il faut produire avant de distribuer. C’est une vision extraordinairement simpliste. En réalité, performance économique et performance sociale sont parfaitement compatibles ;
- Dans le secteur public, cette même politique de réduction de coûts a ébranlé les fondements mêmes de notre solidarité. En effet, si, dans le secteur privé, on répartit la richesse créée, dans le public, on dépense ce qui a été mis en commun pour le bien de tous. Et quand le public se dégrade, quand le service rendu n’est plus à la hauteur, nous sommes tous atteints. »
Constater « la colère des salariés »
Pour Laurent Berger, le manque de reconnaissance au travail et cette manière de penser le travail comme un simple coût expliquent notamment la colère des travailleurs, en particulier après la crise sanitaire Covid-19 :
- « Comment s’étonner de la colère qui s’est emparée de ces salariés ?
- Le Covid-19 les avait fait passer d’un sentiment d’invisibilité à une espérance légitime - notamment d’une revalorisation salariale et d’une amélioration des conditions de travail -, qui s’est achevée par l’injonction de travailler plus longtemps, sans aucune considération pour leurs conditions de travail réelles, leur usure possible au travail, leur espérance de vie à la retraite.
- Cet espoir, je l’ai partagé moi aussi, de ma place de syndicaliste. »
Agir pour le travail de demain
Le rôle des syndicats
Pour l’avenir du travail, Laurent Berger souligne le rôle « capital » des syndicats.
« Les gens continuent de s’investir dans le collectif et s’engagent au sein des entreprises. Depuis le début de l’année 2023, près de 32 000 personnes ont adhéré à la CFDT. Malgré les obstacles, et en dépit de leur colère, les travailleurs ne sont pas désespérés. Ils veulent peser. Et je crois que c’est encore possible. »
La reconnaissance salariale
- « Les salaires bloqués au minimum confirment le mépris vis-à-vis des travailleurs ;
- Ce mépris se confirme par la non-reconnaissance salariale, qui déconsidère le travail et les travailleurs. »
La question des salaires a ainsi des conséquences sur la vie de l’entreprise, mais aussi sur son efficacité, souligne-t-il : « quand on ne paie pas le travail à sa juste valeur, on crée non seulement des situations de conflits, mais également des risques pour l’entreprise en termes d’efficacité ».
- « Il s’agit d’un système qui écrase parce qu’il est focalisé sur la rentabilité à court terme. Des salariés qui n’ont pas le temps de travailler correctement voient le sens de leur métier leur échapper et leur mission bafouée.
- A l’inverse, considérer les travailleurs, c’est rémunérer le travail correctement, mais aussi leur donner une place. »
L’organisation du travail, l’instauration du dialogue professionnel
Pour Laurent Berger, il est nécessaire de repenser l’organisation du travail dans le cadre d’un dialogue social.
« Les patrons doivent réinterroger leur rapport au pouvoir. Nous avons besoin de concertation, d’une gouvernance d’entreprise repensée (…). Trop de patrons sont dans une logique où la coopération est largement plus faible que la volonté de domination. »
Pour être efficace, le dialogue social doit réunir 3 conditions, considère Laurent Berger :
- Parler du travail réel (contenu, impact, conditions de réalisation) ;
- Associer tous les salariés concernés ;
- Laisser des marges de manœuvre pour agir et changer les choses.
« C’est ainsi que l’on pourra traiter réellement les questions de pénibilité, de prévention, d’accidents du travail, de risques professionnels, de qualité de vie, de conditions de travail et même de reconnaissance. »
Fiche de présentation du livre
• Titre : « Du mépris à la colère. Essai sur la France au travail »
• Auteur : Laurent Berger
• Editions du Seuil
• Date de parution : 19 mai 2023
• 144 pages