Dialogue social

Marylise Léon (CFDT) : « Les ordonnances Macron sont un pari perdu pour le dialogue social »

Par Agnès Redon | Le | Syndicats

Secrétaire générale de la CFDT depuis juin 2023, Marylise Léon aborde son parcours syndical qui a débuté en 2003. Elle livre ses réflexions sur le sens du dialogue social ainsi que sur l’importance de la négociation collective, notamment sur la question des salaires et des conditions de travail des salariés.

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT - © Joseph Melin
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT - © Joseph Melin

CSE ou Comité Social et Économique Quel est votre parcours ?

Ma sensibilité aux questions écologiques a commencé avec mon métier : j’étais responsable sécurité et environnement pour un cabinet de conseil pendant plusieurs années.

J’ai ensuite travaillé en tant que formatrice et chargée d’études auprès des représentants du personnel sur les enjeux de conditions de travail, de santé, de sécurité et de risques technologiques.

En 2001, après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, j’ai travaillé sur les enjeux de risques industriels et de protection de l’environnement.

Je me suis engagée à la CFDT en 2003. Dans mon métier je constatais tous les jours des écarts entre la théorie, les procédures et la réalité du travail, notamment dans les usines. Avec les représentants du personnel, nous travaillions également sur les conséquences et les suites de l’explosion de l’usine AZF.

En 2008, à la Fédération chimie énergie-CFDT, j’ai eu pour mandat la prise en charge de la question des risques industriels majeurs, la prévention des maladies professionnelles et les négociations des conventions collectives de la branche papier-carton.

Lors du congrès de Marseille en 2014, j’ai été élue secrétaire nationale chargée des questions industrielles, au sein de la commission exécutive de la CFDT puis secrétaire générale adjointe en 2018.

En juin 2023, j’ai succédé à Laurent Berger et je suis devenue secrétaire générale de la CFDT.

Comment est née votre fibre syndicale ?

Dans la mesure où l’explosion de l’usine AZF a été un traumatisme pour les professionnels de la santé et la sécurité au travail, cet événement a marqué le début de mon engagement dans la défense des salariés.  

Pourquoi avez-vous choisi d’adhérer à la CFDT ?

Je suis arrivée à la CFDT par le biais de rencontres de militants. Ce qui m’a plu, c’est que la CFDT accompagne les militants sans jamais dicter ce qu’il faut faire. C’est une organisation porteuse d’émancipation.  

Quel est le moment marquant de votre parcours ?

L’expertise de ces personnes du travail « réel » m’a beaucoup appris.

Travailler avec les membres du CHSCT a été particulièrement enrichissant au début de mon parcours syndical. L’expertise de ces personnes du travail « réel » et du terrain m’a beaucoup appris, notamment en termes de prévention. 

Par ailleurs, j’ai été très marquée par la mobilisation des travailleurs de la deuxième ligne. En 2021, nous avons donné la parole à ces personnes très représentées à la CFDT et dont le métier est souvent invisible. Les entendre parler de leur travail fut une belle expérience. 

Quels sont vos sujets actuels et prioritaires de revendication ?

Le sujet des salaires reste la priorité numéro un pour les travailleurs

Je ne fais pas un déplacement sans que les militants ne me parlent de ce sujet. Les exemples sont nombreux :

  • Dans la fonction publique, avec la hausse de 1,5 % de la valeur du point d’indice pour les agents publics, qui est insuffisant ;
  • Les livreurs à vélo d’Uber Eats, qui voient leur rémunération diminuer à la suite d’une décision unilatérale de la plateforme de livraisons se mobilisent. Ils constatent une perte de rémunération de l’ordre de 10 % à 40 % par rapport à la grille tarifaire précédente pour les livreurs, ce qui est inacceptable ;
  • Le taux de chômage en France remonte légèrement, à 7,4 % au troisième trimestre, ce qui est un sujet d’inquiétude, surtout en cette période de serrage de vis budgétaire du gouvernement ;
  • Les 56 branches ayant des minima inférieurs Smic, l’enjeu de la classification et de la mixité des métiers etc. La conférence sociale a été un point d’étape et c’est à nous, dans les branches, de faire des propositions et de négocier avec les employeurs. 

Le deuxième sujet prioritaire porte sur le travail 

Cela concerne :

  • les parcours professionnels,
  • les reconversions,
  • la reconnaissance de la pénibilité,
  • l’emploi des seniors,
  • le compte épargne temps universel, etc. 

Le troisième sujet prioritaire concerne la transition écologique juste

Il y a des enjeux en termes d’emploi et il faut savoir comment les porter au cœur de la stratégie d’entreprise et plus largement dans tous les domaines du dialogue social. Il s’agit d’anticiper les impacts sociaux, allier la transition écologique à la justice sociale.

  • Pour ce faire, il faut investir sur les compétences et développer des filières de formations initiales. Il y a donc énormément à faire mais d’une part, je ne pense pas que cela aille assez vite, et d’autre part, cela n’inclut pas assez les enjeux sociaux.
  • Sur ce sujet, nous avons construit un réseau d’adhérents, que nous appelons les « Sentinelles vertes » qui n’ont pas forcément envie d’avoir un mandat mais qui ont envie de s’investir dans la transition écologique. Le CSE est aussi le lieu pour réfléchir à des actions concrètes à mettre en œuvre dans l’action syndicale.

De quelle manière menez-vous des négociations ?

Lors des négociations, mes principes sont les mêmes que ceux que j’appliquais lors des comités de branches, à savoir :

  • Un travail en amont et en équipe pour définir les objectifs, un mandat clair et des marges de manœuvre ;
  • Toujours faire le lien avec la réalité du travail. Quand on enchaîne les réunions, on peut oublier cet aspect et il est recommandé de pouvoir s’appuyer sur des personnes pour s’assurer que le contenu des négociations colle bien avec cette réalité du travail. 

Que diriez-vous à une personne souhaitant s’engager dans le syndicalisme ?

Les élus du CSE disposent d’un droit à la formation dont il faut s’en emparer. Quand on est insuffisamment formés et préparés au mandat, il est difficile d’être à armes égales avec l’employeur. 

Quatre ans après les ordonnances Macron qui ont créé CSE, le renouvellement des élus est difficile. Craignez-vous une baisse de la participation aux élections professionnelles ?

Je considère que ce cadre des ordonnances a d’abord été pris sous l’angle budgétaire.

Il y a en effet plus de difficultés à constituer des listes mais je l’ai constaté, ce n’est pas le cas partout : c’est très variable d’une entreprise à l’autre.

Les ordonnances ont fait le pari de la négociation et de la maturité des acteurs pour s’ajuster au plus près des entreprises et des salariés mais c’est en fait un pari perdu pour le dialogue social.

Nous avons attentivement suivi les travaux du comité d’évaluation des ordonnances et nous déplorons qu’il n’y ait pas eu de suite, alors qu’il faudrait pouvoir suivre et corriger ce qui ne va pas. 

La CFDT a émis 11 propositions pour améliorer le dialogue social, fortement dégradé par les ordonnances. Parmi ces propositions, nous estimons qu’il faut notamment :

Je considère que ce cadre des ordonnances a d’abord été pris sous l’angle budgétaire, il permet de faire des économies sur le dialogue social et est très peu contraignant pour les employeurs. Dès que nous le pouvons, nous remettons ce sujet sur la table des discussions avec Elisabeth Borne, la Première ministre. Nous l’avons d’ailleurs fait en intervention liminaire à la conférence sociale

Il faut également responsabiliser les employeurs sur le sujet. Certains DRH ne sont pas non plus complètement satisfaits de ce cadre et se rendent bien compte de la surcharge de travail des élus. Leur mandat nécessite de maîtriser un plus grand nombre de sujets, de plus en plus complexes. Certains s’inquiètent également de la limite des trois mandats successifs.

Il serait souhaitable que le gouvernement entende aussi cette voix et qu’il ne considère pas le sujet comme clos. 

Comment percevez-vous l’évolution du syndicalisme depuis que vous militez ?

L’engagement est majoritairement considéré de manière positive, malgré les difficultés.

L’envie d’engagement est globalement restée intacte. La CFDT est devenue la première organisation syndicale de France et nous avons toujours revendiqué être en phase avec les évolutions du monde. Or ces évolutions sont de plus en plus rapides.

Nous avions d’ailleurs lancé une enquête en 2022 « Parlons engagement », pour recueillir la vision des travailleurs sur l’engagement mais aussi pour connaître leurs attentes vis-à-vis du syndicalisme.

Parmi les 32 000 répondants, l’engagement est majoritairement considéré de manière positive, malgré les difficultés relevées sur l’équilibre entre le temps de travail, le temps de la vie privée et le temps syndical.

Avec la mobilisation contre la réforme des retraites, les organisations syndicales ont connu un regain d’adhésions. Le fait de ne pas avoir réussi à faire plier le gouvernement d’Élisabeth Borne risque-t-il de décourager ces nouveaux adhérents ?

Je crois que la dynamique se poursuit au-delà de la mobilisation contre la réforme des retraites. Il y a également un attrait en rapport avec la période de renouvellement des CSE.

Pour beaucoup, c’est la mobilisation du collectif qui leur a fait envie.

Nous comptons 75 000 nouveaux adhérents en plus à la CFDT, issus à 70 % du secteur privé et dont 20 % sont âgés de moins de 35 ans. Notre organisation syndicale travaille sur leur accueil et les raisons pour lesquelles ils nous ont rejoints.

Quelle est votre perception de l’avenir du syndicalisme dans le contexte de l’émergence de collectifs non syndiqués ?

La création de collectifs non syndiqués n’est pas un phénomène nouveau et je vois cette volonté de faire collectif comme un phénomène très positif.

  • Je dirais simplement que l’action est plus puissante quand on intègre une organisation syndicale.
  • Je suis convaincue que la force du nombre reste un levier important d’efficacité dans la négociation collective.

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